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trois ans avant Confucius ; se montre-t-il dans sa vie, dans ses écrits, dans ses enseignemens, animé du même désir, du même esprit que le moraliste ? Témoin, lui aussi, des désordres croissans qui jetaient la confusion dans l’empire des Tchéou et préparaient la ruine de cette longue dynastie, que Confucius cherchait à sauver, s’appliqua-t-il à porter aux maux de son temps un remède efficace ? Il est difficile de le croire. Un peu misanthrope, épris de la vie contemplative à la manière des Hindous, Lao-tseu, trop visiblement choqué des folies humaines, prenait en pitié et même en dédain cette pauvre humanité que Confucius s’efforçait de guérir, de ramener à la raison par les exemples d’un passé plus sage. La différence qui existe entre les deux penseurs ressort à merveille de ce passage tiré de la Légende fabuleuse de Lao-tseu[1]. « J’ai mis en ordre, dit Confucius dans une rencontre avec ce philosophe, le livre des vers, les annales impériales, le rituel, le traité de la musique, le livre des transformations, et j’ai composé la chronique du royaume de Lou ; j’ai lu les maximes des anciens rois, j’ai mis en lumière les belles actions des sages, et personne n’a daigné m’employer. Il est bien difficile, je le vois, de persuader les hommes. — Les six arts libéraux, reprit Lao-tseu, sont un vieil héritage des anciens rois ; ce dont vous vous occupez ne repose que sur des exemples surannés, et vous ne faites autre chose que de vous traîner sur les traces du passé, sans rien produire de nouveau. »

Vraie ou fausse, cette conversation prouve clairement que Lao-tseu, au moins dans l’esprit de ses disciples, est un novateur ; sa doctrine (qu’on se rassure, nous n’essaierons pas de la discuter) a tout le caractère d’une philosophie. Remarquons en passant que Lao-tseu lui-même prétend aussi ne faire que transmettre les leçons qu’il a reçues[2]. S’il est permis d’admettre que les idées du maître remontent aux enseignemens du premier des empereurs, Hoang-ty, il faut en conclure que la tradition se partagea en deux branches de l’une sortit le rationalisme, tel que le comprit Confucius ; de l’autre, le spiritualisme, tel que le professa Lao-tseu. Ou bien, de cette doctrine primitive antérieure à tous les deux, le moraliste n’avait pris que la partie qui se prêtait le mieux à l’analyse, et le philosophe s’attachait spécialement, dans une synthèse plus large, à la partie métaphysique.

  1. Traduction du Tao-te-king de Lao-tsau, par M. Stanislas Julien ; introduction, p. XXIX. — Mémoires sur les Chinois, vol. III, p. 38.
  2. Traduction du Tao-te-king, par M. Stanislas Julien, note de la page 161 ; voir aussi le Livre des Récompenses et des Peines.