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de la nation ? Aux Français qui crieraient contre un tel système, les patriotes hongrois répondent qu’en France le droit ne repose pas plus qu’en Hongrie sur la capacité. D’un côté, c’est l’argent ou le cens qui donne les droits politiques, de l’autre c’est le hasard de la naissance. Entre les deux systèmes électoraux, il y a cette différence, que celui de la Hongrie reconnaît comme électeurs tous éligibles 500,000 hommes sur 14 millions d’habitans, pendant que celui de la France, sur 33 millions de sujets, n’en admet pas 200,000 au droit électoral, et encore parmi ces privilégiés combien y en a-t-il d’éligibles ? Les caprices de Plutus seraient-ils encore plus hostiles que le hasard de la naissance à l’extension des droits civiques ? Vraiment, l’avenir seul, et non le présent, peut répondre à cette question. Il suffirait de ce seul fait pour ôter à la France le droit d’être sévère dans son appréciation des systèmes électoraux étrangers. Les réformateurs hongrois éprouvent au reste peu d’attrait pour l’esprit égalitaire des états occidentaux, qui, à les en croire, rabaisse les uns pour élever les autres, et amène finalement une progression effrayante du paupérisme, de sorte qu’en Occident les jouissances légitimes de la vie semblent n’être plus que pour les riches. L’aristocratie hongroise, en émancipant ses serfs et le tiers-état, prétend donc n’abdiquer aucun de ses privilèges, mais les faire partager successivement à toute la nation ; elle parle d’ennoblir toutes les classes : elle ne songe pas à descendre vers le peuple, mais à l’élever jusqu’à elle. C’est en cela qu’elle espère se distinguer des démocraties occidentales, vis-à-vis desquelles la Hongrie ne dissimule, pas plus que la Grèce, ses intentions d’antagonisme. Bien qu’ils nous préfèrent à tous les autres peuples, eux exceptés, les Hongrois nous critiquent souvent, il faut l’avouer, et non sans justesse. Nous pouvons sans jalousie souhaiter à ces peuples bonne réussite dans leur entreprise. Il n’y a pas qu’une manière d’être libre, et on peut l’être à un haut degré sans l’être à la manière française.

Observons toutefois qu’il sied mal aux Hongrois, après avoir affiché de telles prétentions, de se vanter à tout venant des rapports nombreux qui existent entre leur charte et celle d’Angleterre, comme la division du pays en plusieurs royaumes unis, sa subdivision en comitats présidés par des comtes et vicomtes (gespans et vice-gespans), représentans du roi, les droits municipaux des cités, les orages des réunions électorales, et mille autres analogies. Si les législateurs maghyars répudient les tendances de l’Occident, ce ne doit pas être pour se mettre à la remorque du génie britannique ; ils ont à jouer un plus