Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/424

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le censeur de ses actes, et loin d’y perdre, l’existence individuelle s’élève par-là à toute la dignité de l’existence commune. Sans doute, cette solidarité n’est pas partout bienfaisante ; dans les pays barbares ou soumis à des tyrans, elle s’empreint comme tout le reste de barbarie. En Serbie, du temps de Miloch, chaque commune était responsable même des vols et des meurtres commis sur son terrain. Cet usage, qui remonte au moyen-âge, et dont parlent déjà les lois du tsar serbe Douchan, se retrouve encore dans la plupart des provinces slaves de Turquie, où le rachat d’un meurtre, pour un village qui ne peut livrer le coupable, s’élève à plus de mille piastres. C’est ainsi que la tyrannie abuse des principes les plus salutaires.

Le système de solidarité gréco-slave offre d’ailleurs la plus grande variété dans ses applications. S’accommodant à tous les lieux, à tous les peuples, à tous les degrés sociaux, il se restreint dans les tribus de pasteurs, et s’épanouit dans les cités marchandes de la Grèce ; dans le Nord, il adoucit, pour les Kosaques, le joug du tsar, comme, dans le Midi, il conserve sous le joug turc les nationalités chrétiennes. Il n’est pas jusqu’au serf de la Moscovie qui ne trouve dans le système communal un allégement à sa servitude ; le droit de s’administrer eux-mêmes, laissé à ces esclaves dans leurs steppes dédaignées, empêche leur fierté de s’éteindre et leur donne l’espérance d’une future émancipation.

C’est surtout dans les parties du monde gréco-slave restées inaccessibles aux conquérans que les institutions communales portent des fruits admirables. Sur les hautes montagnes de la Macédoine, et dans celles des îles grecques qui, écartées des grands chemins maritimes, n’ont pas vu leurs coutumes s’altérer au contact du commerce européen, se cachent à tous les yeux de véritables paradis terrestres. Ces districts heureux ne connaissent ni espions ni police ; chaque famille y est souveraine dans son foyer ; le père y est vraiment le roi de ses enfans, et n’abuse pas de sa royauté, car l’accomplissement des devoirs domestiques fait les délices de ces ames simples. C’est là qu’on trouve réalisée l’égalité fraternelle, sur laquelle on ne sait faire que des rêves en Occident. Là point de cens électoral qui restreigne à quelques-uns la participation aux droits civiques ; le pauvre artisan n’est pas contraint de s’abaisser devant le propriétaire ; tous les deux ont la même importance sociale. L’opulence ne crée point là comme chez nous des mœurs à part : le riche laboure son champ de ses mains aussi bien que le pauvre ; les femmes les plus délicates aident leurs