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vingt ans ? Aucune révolution n’a peut-être offert au même point que la révolution grecque du 3 septembre 1843 l’admirable concours de toutes les forces, de toutes les classes de la nation vers un même but. Et les Serbes, quelle héroïque constance n’ont-ils pas opposée, depuis trente années, à tous leurs tyrans intérieurs et extérieurs ! Leurs luttes obstinées d’abord contre les Turcs, puis contre les Obrenovitj et la Russie, pour être inconnues de l’Occident, n’en demeurent pas moins historiques. Que dire enfin du peuple polonais, et n’est-il pas, depuis cinquante ans, le plus glorieux martyr de la liberté en Europe ? Si la Grèce a eu son 3 septembre, n’a-t-il pas eu son 3 mai ? Ces deux glorieuses journées n’ont-elles pas donné au monde gréco-slave ses deux chartes les plus populaires ? Sans doute, la Pologne n’a pas recueilli de sa charte du 3 mai tous les fruits que la Grèce semble devoir tirer de la sienne : les grandes puissances, qui favorisent la Grèce, étaient au contraire liguées contre la Pologne ; mais la France, si fière de ses souvenirs républicains et constitutionnels, ne doit pas oublier que le 3 mai polonais, précéda le serment du jeu de paume et les grands jours de la constituante, et que, pour devancer alors la nation française dans l’œuvre de l’émancipation des peuples, il n’a manqué peut-être à la Pologne que d’être moins voisine de l’Autriche et de la Moscovie.

La tendance libérale des Gréco-Slaves est donc un fait incontestable. Jugeons-le par les résultats qu’il a déjà produits. Quatre constitutions principales ont témoigné à diverses époques de l’esprit généreux qui anime les peuples de l’Europe orientale. Les développemens que doit apporter l’avenir dans ces quatre chartes les mettront un jour en état de rivaliser avec les institutions les plus avancées de l’Occident. Ces monumens politiques sont la charte grecque, la charte serbe, la charte polonaise et la charte antique du royaume de Hongrie, qui chaque jour se perfectionne et s’élève à la hauteur des besoins et des idées de l’époque.

Le principe fondamental posé au fond de ces quatre constitutions du monde gréco-slave, c’est l’unité indivisible de la nation et de son gouvernement, en d’autres termes, l’absence de cette idée abstraite, absolue, qu’en Occident on appelle l’état. Les Gréco-Slaves ne peuvent comprendre l’état comme nous : ils repoussent cette immense machine administrative dont les mille rouages, engrénés les uns dans les autres, fonctionnent passivement, sans aucune responsabilité devant le pays, et ne subissant d’autre impulsion que celle du pouvoir central. Envisagé dans sa conception moderne, l’état est un fait purement occidental