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leur vie, de la cause première, et, sous ce point de vue, le mouvement des astres, par exemple, est quelque chose de divin ; mais, après tout, chaque phénomène vient d’une cause seconde, comprise dans l’ample sein de la nature, et, sous ce point de vue, il n’y a de réel et de possible que des phénomènes naturels. Cela n’est pas contesté aujourd’hui dans la science. Serait-il digne de la philosophie d’être moins avancée que la physique, et de ressusciter cette distinction, désormais détruite, sous le vain prétexte de mettre d’accord la philosophie et la religion en les séparant l’une de l’autre ? Ce serait trop compter, en vérité, sur la puissance d’un pur artifice de langage. Rien de grand ne peut sortir, en philosophie, d’une fiction ; la force de la philosophie est dans sa sincérité. La distinction des vérités naturelles et des vérités surnaturelles est donc fausse scientifiquement ; dans la pratique, elle est inutile, puisqu’elle n’a pas empêché et n’empêche pas aujourd’hui la lutte de la philosophie et des institutions religieuses ; enfin, elle est dangereuse, parce qu’elle compromet et la liberté et la dignité de la philosophie.

Nous acceptons toute l’objection. Nous tenons la distinction des vérités naturelles et des vérités surnaturelles pour une distinction parfaitement artificielle. Que l’homme politique, que l’état reconnaisse les religions positives comme enseignant un ordre de vérités distinctes, qu’il prévienne les conflits qui pourraient s’élever dans son sein entre l’enseignement officiel de la philosophie et celui de la religion, nous le comprenons à merveille ; mais dans l’ordre spéculatif, il n’y a pas deux sortes de vérités : il n’y a que des formes diverses de la vérité. La vérité se montre ici sous la forme d’une religion, là sous la forme d’une philosophie. A travers la variété de ces formes, la raison garde son identité ; elle reste la source unique, la source éternelle de la vérité, immuable dans son fond, variable et progressive dans ses manifestations, divine par ses lois et par son essence, humaine par ses formes variables, ses mouvemens divers, ses imperfections nécessaires. La philosophie, qui est la raison sous sa forme réfléchie, embrasse donc toute vérité. Aucune ne lui est étrangère. Sa mission est de tout comprendre, de tout expliquer. Systèmes religieux, systèmes philosophiques, théologie, sciences, symboles, cultes, elle ne laisse rien hors de soi. Son dernier terme, son idéal qui est dans l’infini, mais dont elle doit se rapprocher chaque jour, c’est de montrer à l’homme, à tous les hommes, dans tous les produits de leur activité les lois de la raison par lesquelles ils sont appelés à se gouverner. S’il en est ainsi, si la philosophie et les religions positives ont au fond le même domaine, et un