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dire. J’appelle hardi un livre comme le Traité théologico-politique, où des idées vraiment neuves sur la religion sont appuyées sur une critique profonde des saintes Écritures ; j’appelle hardi un livre comme la Vie de Jésus-Christ du docteur Strauss, dont un éloquent écrivain rendait compte dans ce recueil d’une manière si brillante et avec de justes réserves, et où une érudition forte et solide sont mises au service d’une conception originale : voilà des livres vraiment hardis ; mais qu’y a-t-il au monde de moins hardi qu’une attaque contre le célibat des prêtres et la confession ? Cela était nouveau il y a trois siècles. Où est la hardiesse de soutenir qu’un prêtre qui fait Dieu avec du pain peut aussi bien croire que deux et deux font cinq. Spinoza a dit cela hardiment au XVIIe siècle, mais le XVIIIe l’a rendu banal. M. Michelet est fort plaisant sur Marie Alacoque, mais peut-il espérer l’être plus que Voltaire ? La hardiesse consisterait-elle à dire que le christianisme détruit la liberté morale, que les grands docteurs de l’église sont fatalistes, que Bossuet et Molinos ne diffèrent pas ? Ces hardiesses-là ont un autre nom.

Allons droit à la vraie question. M. Michelet pousse à la dissolution des institutions religieuses, cela n’est pas contesté. Que veut-il mettre à la place ? Apparemment la philosophie, à moins que ce ne soit une religion nouvelle. Expliquons-nous amplement là-dessus.

S’il est un besoin essentiel, universel, de toute société humaine, c’est l’existence d’un ministère spirituel. L’homme ne vit pas seulement de pain ; il faut à son ame une nourriture qui le soutienne et le fortifie ; en d’autres termes, il lui faut des idées religieuses et morales. Ce qui, dans une société, donne aux hommes la nourriture de l’ame, c’est ce que j’appelle le ministère spirituel.

Il y a deux grandes puissances capables d’exercer le ministère spirituel, la philosophie et la religion ; toutes deux ont pour objet de donner à l’homme le pain de l’ame, je veux dire un système de croyances religieuses et morales. Il n’a jamais existé une société où le ministère spirituel n’ait été exercé soit par la philosophie, soit par la religion, soit par toutes deux ensemble, tantôt unies, tantôt divisées, tantôt subordonnées l’une à l’autre. Une société sans religion et sans philosophie n’existerait pas une année ; il faudrait la composer d’hommes qui pourraient se passer du ministère spirituel, c’est-à-dire d’hommes qui auraient un corps et des besoins physiques, et n’auraient point d’ame ni de besoins moraux.

En Europe, au moyen-âge, le ministère spirituel a été exercé par la religion catholique à l’exclusion de toute autre puissance. Au XVIe siècle,