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Je n’exagère rien, je n’ajoute rien, et je ne discute encore rien. J’essaie de comprendre, et, en vérité, je n’ai aucune peine ni aucun mérite à y réussir. Prémisses, conséquences, tout est clair, tout est explicite, tout est avoué. M. Michelet marche à son but, directement, ouvertement, le front levé. Nous n’avons pas prétendu deviner son livre, ni à plus forte raison le démasquer ; nous n’avons fait que le raconter.

Considéré sous ce point de vue, le livre de M. Michelet et la curiosité universelle qu’il excite, le succès qu’il obtient au sein de la jeunesse, sont choses graves, qui méritent, qui appellent un examen sérieux, une discussion calme et approfondie. N’est-ce qu’un pamphlet contre les jésuites ? N’est-ce même qu’une attaque spirituelle et passionnée contre la confession et le célibat ecclésiastique ? Nous aurions peu de chose à dire. Nous détestons l’esprit jésuitique ; nous croyons que la confession et le célibat ecclésiastique entraînent de grands abus, aujourd’hui plus que jamais ; nous jugeons ces institutions avec la plus parfaite liberté, en observateur désintéressé, en critique impartial, et l’apologie de ces institutions, faite au point de vue de l’orthodoxie catholique, serait fort en péril entre nos mains ; mais il s’agit ici de tout autre chose.

Le livre de M. Michelet est un manifeste violent contre le sacerdoce et la religion catholiques, contre tout sacerdoce et toute religion positive. Son but avoué est de représenter tout prêtre, toute religion comme choses pernicieuses dont on ne saurait trop désirer, trop provoquer l’immédiat renversement. La tendance du livre, l’effet qu’il produit et qu’il veut produire, c’est de porter toute l’activité intellectuelle, toute la force philosophique de notre temps, vers la ruine des institutions religieuses. Si c’est là le but de M. Michelet, à quoi nous servirait-il de le dissimuler ? Les philosophes ont-ils des desseins cachés ? conspirent-ils dans l’ombre ? ont-ils un mot d’ordre qu’ils ne livrent qu’aux initiés ? On abusera, dit-on, de nos paroles ; prenez garde, si les philosophes se taisent, qu’on n’interprète leur silence.

La question est de savoir si la philosophie du XIXe siècle s’engagera dans une voie nouvelle, où des esprits téméraires la convient à s’élancer. Jusqu’à ce jour, la polémique philosophique a suivi un drapeau, qui est celui du XIXe siècle, et où les mots d’équité et de modération sont écrits à côté de ceux de liberté et de franchise. Une main hardie montre un autre drapeau, celui de l’Encyclopédie et de Voltaire, et les philosophes ne s’interrogeraient pas pour savoir s’ils le doivent suivre ! Le seul moyen pour cela, c’est la discussion publique, ouverte,