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c’est l’unité des croyances, qui fait l’union des cœurs. Otez la communauté des idées morales et religieuses, vous altérez, vous détruisez la communauté des affections, et bientôt l’anarchie intérieure des ames éclatant dans les actions de la vie, chasse du foyer domestique la confiance et la paix, ôte au mariage sa sainteté, à l’éducation sa puissance, à la société tout entière sa force et son unité.

Au moyen-âge, à travers mille agitations sociales et politiques, l’union spirituelle donnait une base solide à la vie de famille. Cette belle harmonie a disparu. Depuis trois siècles, un esprit nouveau souffle dans le monde et pénètre par degrés les intelligences et les cœurs. Des livres des philosophes, il s’est fait jour dans toutes les classes de la société, et s’est emparé peu à peu de tous les chefs de famille ; mais son progrès s’est arrêté là. La mère est restée catholique, tandis que le père ne l’est plus. De là ce divorce spirituel qui jette le désordre dans l’éducation et dans l’état.

M. Michelet peint avec éloquence cette anarchie spirituelle de la famille. « C’est l’asile où nous voudrions tous, après tant d’efforts inutiles et d’illusions perdues, pouvoir reposer notre cœur. Nous revenons bien las au foyer… Y trouvons-nous le repos ?… Nous pouvons parler à nos mères, à nos femmes, à nos filles, des sujets dont nous parlons aux indifférens, d’affaires, de nouvelles du jour, nullement des choses qui touchent le cœur et la vie morale, des choses éternelles, de religion, de l’ame, de Dieu. Prenez le moment où l’on aimerait à se recueillir avec les siens dans une pensée commune, au repos du soir, à la table de famille ; là, chez vous, à votre foyer, hasardez-vous à dire un mot de ces choses ; votre mère secoue tristement la tête, votre femme contredit, votre fille, tout en se taisant, désapprouve. Elles sont d’un côté de la table, vous de l’autre, seul. »

Certes, voilà un désordre réel, sérieux, profond, vivement senti. Quelle en est, suivant M. Michelet, la première cause ? C’est qu’à cette table, à ce foyer où la famille devrait s’abriter dans la confiance et la paix, siége un homme invisible. Comme au banquet de Macbeth, il y a à la table domestique une place qui semble vide, mais où la mère et l’épouse aperçoivent une ombre mystérieuse. Ce personnage sinistre, c’est le prêtre.

Il faut ici bien entendre M. Michelet ; ce serait se méprendre singulièrement sur sa pensée que de supposer qu’il s’agit ici seulement des mauvais prêtres, des prêtres que l’esprit jésuitique a corrompus, des prêtres infidèles à l’esprit du ministère catholique. Non ; il s’agit