Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/382

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
376
REVUE DES DEUX MONDES.

rente, qui le cache dans la chambre de ses filles, sous des vertugadins. Bientôt, sur l’avis d’un parent intéressé à sa mort, le bruit de son évasion se répand, et Charles IX donne de sang-froid l’ordre de le faire périr. Il faut fuir de nouveau ; le pauvre enfant sort de Paris déguisé, et soupe dans une hôtellerie avec un assassin qu’il trouve vêtu de la robe de chambre de son frère. Après des périls de toute sorte, il arrive enfin en Guyenne, où il est recueilli par son oncle. Sitôt que le roi de Navarre eut quitté la cour, M. de La Force va s’unir à lui, et dès cette époque commencent entre Henri IV et le fidèle Béarnais des relations qui ne devaient finir qu’avec la vie du grand roi. Après avoir combattu près de Henri IV sur presque tous les champs de bataille et avoir plus qu’aucun autre contribué au succès de la journée d’Arques, M. de La Force était encore à côté de son maître lorsque celui-ci tomba frappé par le fer de Ravaillac. Sa piété lui fait trouver la force de dire au monarque, qui le couvre de son sang : Sire, songez à Dieu. Ces mots sont les derniers qu’Henri ait entendus sur la terre.

Après ce coup terrible, M. de La Force retourna dans son gouvernement de Béarn pour faire proclamer le nouveau roi. Bientôt la lutte s’engage de nouveau entre les deux croyances, et le gentilhomme calviniste est appelé à y prendre une grande part. Enfin, l’ordre se rasseoit sous Richelieu, et M. de La Force, après avoir été zélé chef de parti, devient un des plus habiles généraux de Louis XIII. Il fait la belle campagne d’Italie, célèbre par le passage du pont de Suze ; dirige en Champagne la résistance contre Gaston, duc d’Orléans, et va prendre sur le Rhin le commandement des forces que la France unit à celles de la Suède. Du jour où s’ouvre la guerre de trente ans, la vie du maréchal se passe tout entière dans les camps ; enfin, épuisé de fatigues et d’années, il quitte son armée victorieuse, à l’âge de soixante-dix-huit ans, pour venir au château de ses pères mettre un intervalle entre cette vie agitée et la mort. Près de quinze ans d’une verte vieillesse lui furent encore donnés ; il vit du fond de sa retraite disparaître le grand cardinal, dont il eut l’estime et jamais la faveur, et il suivit de loin dans ses épreuves laborieuses le nouveau ministre, dont il avait encouragé les premiers pas lorsque le seigneur Mazarini portait l’uniforme de capitaine de dragons.

C’est une noble vie que celle-là, et il est bon de la remettre en mémoire. M. le marquis de La Grange a rempli avec conscience un devoir pieux et difficile ; il a coordonné d’une manière heureuse les nombreux matériaux que lui ont fournis les archives de la maison de la Force : le texte est éclairé par des notes importantes, et rarement la tâche d’un éditeur a été plus loyalement remplie. L.C.


V. de Mars.