Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/374

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
368
REVUE DES DEUX MONDES.

LE PREMIER BUDGET DE L’ESPAGNE


Dans très peu de jours, les cortès vont examiner le premier budget général, le premier budget régulier de l’Espagne ; M. Mon a satisfait enfin des vœux bien impatiens, et l’on pourra d’un regard plus sûr mesurer, si l’on nous permet de parler ainsi, l’avenir financier de la monarchie constitutionnelle au-delà des monts. Jusqu’ici les esprits éclairés, ceux-là même dont la bienveillance envers le cabinet Narvaez n’a jamais été mise en question, n’ont approuvé qu’avec une extrême réserve les réformes partielles accomplies déjà par le ministre des finances, et on le comprend sans peine : dans l’état le plus grand comme dans le plus petit, tout se lie, tout se tient, et c’est l’harmonie de l’ensemble qui dans les détails, dans les innombrables services particuliers dont se compose l’administration publique, introduit l’ordre et le garantit. Par cette émission du 3 p. 100, qui doit tant contribuer à dégager les revenus du pays, M. Mon, en définitive, a augmenté les obligations du trésor. Sans aucun doute, si la paix et la sécurité s’établissent en Espagne, le jour viendra où le seul progrès des fortunes privées fera la fortune nationale, et assurera le paiement de toutes les obligations anciennes et récentes. Mais, d’ici là, comment subvenir aux besoins de l’état ? quelles dépenses est-on nécessairement obligé de faire aujourd’hui même ? sur quels revenus peut-on certainement compter ? Voilà les questions que M. Mon est tenu de résoudre dans le projet de loi financière qu’il a soumis aux délibérations des cortès.

Au moment où, par la loi que vient de présenter M. Mon, se va, pour ainsi dire, inaugurer une seconde fois en Espagne le régime constitutionnel, il est curieux de jeter un coup d’œil en arrière et d’examiner comment, dans ce pays qui se régénère, les finances publiques ont été jusqu’ici gouvernées. Dans les temps les plus reculés de l’ancienne monarchie, et jusqu’à l’avènement de la dynastie autrichienne, les revenus de la couronne se formaient des droits et des redevances que se réservaient les rois d’Aragon et de Castille sur les terres concédées aux seigneurs, et des capitations que s’imposaient les communes. À l’époque même où les rois exerçaient une autorité à peu près irrésistible, à l’époque où l’influence étrangère, qui sous Charles-Quint dominait en Espagne, avait raison des plus vieilles garanties péninsulaires et réduisait la représentation nationale à n’être plus que l’ombre des anciennes cortès, on sait avec quelle énergie l’assemblée de Tolède osait, sur la question d’impôt, tenir tête au tout-puissant empereur. Quand la dynastie autrichienne eut pris le parti d’en finir tout-à-fait avec les immunités publiques, elle exigea, pour masquer l’usurpation, que les provinces envoyassent, comme autrefois, à Madrid, ces députés, qui, durant les beaux jours des communes castillanes et aragonaises., contrôlaient l’em-