Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/372

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exigé la suppression du droit de visite, puissent vous remercier du résultat que vous leur présentez ? Ce résultat veut dire que vous négociez, pas autre chose. Et Taïti, croyez-vous que ce soit là une affaire conclue ? Ne craignez-vous pas toujours d’apprendre des complications imprévues ? Quand pourrez-vous nous dire que le sang de nos soldats a cessé de couler ? Quand cesserez-vous de craindre un nouveau conflit qui pourrait remettre en question la dignité de la France ? Vous dites que la paix est solidement établie, que les deux pays sont en bons ternes ; mais la guerre a failli éclater il y a cinq ou six mois ; le bon accord a disparu un moment pour faire place à des dispositions hostiles. C’était le fruit de votre politique, qui a eu jusqu’à présent ce double effet d’encourager les exigences de l’Angleterre et d’exciter en même temps chez nous les susceptibilités nationales. Or, si votre politique ne change pas, si vous suivez toujours les mêmes erremens, le pays peut-il avoir cette confiance que vous voulez lui inspirer ? Non. Ne dites donc pas que la situation est excellente, et que l’opposition exploite contre vous la sécurité et les loisirs que vous avez créés. La sécurité n’est pas à Taïti ; la question du droit de visite offre des loisirs peu rassurans. Ainsi que l’a dit M. le comte Molé, les questions que vous dites terminées sont encore toutes vives, et votre politique, loin de résoudre les difficultés, est l’élément qui les perpétue.

Quant à savoir comment les successeurs du ministère actuel pourraient gouverner, ce n’est pas sérieusement que l’on soulève cette question. Si des hommes portés aux affaires après avoir trempé dans la coalition ont pu trouver une majorité de gouvernement, l’œuvre ne sera pas plus difficile pour ceux qui n’ont désavoué aucun de leurs principes, et qui n’ont pris aucun engagement que leur conscience désavoue. On exagère d’ailleurs à dessein les tendances de cette partie de l’opposition qui se rapproche en ce moment de l’opinion conservatrice. On ne parle de ses exigences futures que pour les exciter dès à présent. On voudrait qu’elle agitât le drapeau des réformes ; malheureusement, au lieu de réveiller les questions de principes, au lieu de s’adresser aux passions, elle se place sur le terrain des affaires. On voudrait qu’elle fût violente, elle est modérée. Au lieu de se laisser prendre pour dupe, elle est habile. De pareilles dispositions peuvent chagriner le ministère, mais elles peuvent aussi le rassurer au sujet des embarras que de nouveaux auxiliaires de la majorité pourraient créer à ses successeurs.

L’intervention de m. le comte Molé dans le débat de l’adresse a une portée que tout le monde comprendra. Elle amènera de nouveaux rapprochemens entre les deux centres. Elle élargira la base du parti conservateur. Elle préparera les voies à une majorité puissante. On a dit que M. Molé était partisan de l’alliance russe ; ceux qui liront ses discours, pourront vérifier cette assertion. Ils verront si l’alliance anglaise, pratiquée dignement, efficacement, comme il convient à la France, a un défenseur plus sûr et plus éclairé. M. Molé n’a pas voulu flatter les passions de la gauche, comme on l’a prétendu ;