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du 29 octobre. Ce que les conservateurs dissidens font aujourd’hui à propos du Maroc et de Taïti, la majorité l’a fait constamment depuis quatre ans sur des questions non moins graves. La seule différence est que le ministère serait forcé de se retirer aujourd’hui devant un blâme des chambres, tandis que nous l’avons vu jusqu’ici accepter le blâme sans se retirer, et aller au-devant de la majorité quand la majorité refusait d’aller à lui.

On demande aux conservateurs dissidens quelle est leur politique : c’est celle de la majorité. Ils veulent la paix, les bons rapports avec l’Angleterre. Sur ce point, ils sont d’accord avec le cabinet ; mais ils ne sont pas d’accord avec lui sur la manière d’appliquer cette politique. Entre eux et le ministère, il s’agit d’une question de conduite. Ils disent que le ministère compromet la politique de la majorité au lieu de la servir utilement, et la majorité a déjà prouvé qu’elle pensait comme eux sur bien des points. Voyez les affaires que le cabinet a créées lui-même, qu’il a cherchées pour ainsi dire, et dans lesquelles il a engagé directement sa responsabilité ; voyez le droit de visite, la question de l’Océanie : ces deux affaires ont-elles servi la politique de la paix ? Ont-elles resserré l’alliance anglaise ? N’ont-elles pas, au contraire, failli troubler le repos du monde ? Sans l’amitié qui lie les deux couronnes de France et d’Angleterre, sans les hommages adressés par la nation britannique au représentant couronné de notre révolution, sans la sagesse des souverains et des peuples, supérieure cette fois à la sagesse des cabinets, où en serions-nous aujourd’hui ? Le ministère, depuis quatre ans, nous a donné une paix troublée et une alliance stérile. Il a voulu la paix, mais en même temps il s’est lancé dans des entreprises téméraires, sources de conflits entre les deux gouvernemens ; il a voulu l’alliance, mais en même temps il l’a rendue impopulaire en France par des démarches irréfléchies et par des concessions imprudentes. Voilà ce que lui reprochent les conservateurs dissidens. Tel est le sens de cette opposition nouvelle, à la tête de laquelle vient de se placer M. le comte Molé.

Nous n’essaierons pas de peindre l’effet de cette séance qui a produit des émotions si vives. Évidemment, le ministère avait pensé que M. Molé ne parlerait pas ; on avait voulu lui faire peur. On comptait encore une fois sur ces scrupules, exagérés peut-être, sur cette réserve excessive qui ont fermé pendant six ans la bouche de l’illustre pair. On ne le provoquait si violemment, on ne stimulait si outrageusement son honneur qu’afin de pouvoir exploiter son silence comme une défaite. L’évènement est venu tromper ces prévisions ; mais après l’évènement on s’est hâté, comme toujours, de changer de langage et de tactique. Hier, on provoquait M. le comte Molé ; on lui disait que son devoir était de s’expliquer devant le pays : on lui dit maintenant que son devoir, comme son intérêt, eût été de se taire. Pourquoi a-t-il parlé ? Encore un peu de patience, et le cours des évènemens le ramenait aux affaires. Rien ne réussit en politique comme la résignation et l’oubli des injures. M. Molé, pour avoir parlé, est aujourd’hui un homme perdu. S’il revient au pouvoir, ce