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et netteté en faveur du livre que le père Valois, sous le pseudonyme de Delaville, venait de publier contre le cartésianisme au nom de la Société. Sainte-Marthe, un des plus purs jansénistes, approuva du Vaucel. On écrivit à Paris pour obtenir l’adhésion de Sacy. On l’obtint, mais dans les termes que comportaient la douceur et l’humilité de cet homme excellent. Il avoua qu’il n’était pas aussi philosophe que son oncle, et il le suppliait de songer moins à la philosophie et de consacrer sa plume à la seule piété. En dépit de ces efforts concertés, Arnauld, comme Bossuet, demeura jusqu’à la fin fidèle à Descartes et à la philosophie.

On le voit : Arnauld philosophe ne représente point Port-Royal ; loin de là, il le contredit ; il suit son propre génie et les habitudes de toute sa vie. C’est Sacy vers 1650, c’est Pascal vers 1660, c’est du Vaucel en 1680, qui sont les véritables interprètes de Port-Royal. Pascal avait compris d’abord et hautement exprimé l’absolue incompatibilité de la grace janséniste et de la philosophie. Le pieux théologal, en répétant ce qu’avait dit l’auteur des Pensées, obéissait à un instinct tout aussi sûr que le génie lui-même, à cet instinct des partis qu’il ne faut pas mépriser parce qu’il est souvent le sentiment intime de leur principe. Tout le parti se reconnut dans du Vaucel et se joignit à lui. Arnauld demeura seul, d’autant plus admirable dans son attachement à la philosophie ; mais le titre même de l’admiration que sa fermeté inspire, est la sérieuse opposition qu’il rencontra de bonne heure, qu’il ne put vaincre, et à laquelle il résista pendant quarante années.

En résumé, il est, je pense, bien démontré que Port-Royal, fondé sur le double principe du néant de la nature humaine et de la puissance unique de la grace, ne pouvait admettre ni le cartésianisme ni aucune philosophie, et qu’ainsi, comme nous l’avions annoncé[1], Pascal janséniste, et janséniste conséquent, devait être tel que le peignent les Pensées, un chrétien mélancolique, un sceptique de génie, qui, rejetant toute raison naturelle, toute morale naturelle, toute religion naturelle, ne trouve un peu de certitude et de paix que dans la foi étroite et sombre d’une secte particulière, qu’il ne faut pas confondre avec l’église, de cette secte pleine de grandeur et de misères, qui commence, il est vrai, par les Provinciales, mais qui se termine aux folies de Saint-Médard.

Pascal était obscur à bien des yeux dans l’édition de Port-Royal et dans celle de Bossut. Nous l’avons éclairci à la lumière du manuscrit

  1. Voyez la fin du premier article.