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et obstiné adversaire à la solide méthode et aux principes de leur commun maître. Jamais dans l’esprit d’Arnauld ni le jansénisme ne fit plier la philosophie, ni la philosophie n’altéra le jansénisme. La grace et la raison y avaient jeté de bonne heure de si profondes racines, qu’elles s’y soutenaient pour ainsi dire à côté l’une de l’autre, chacune par sa force propre, se rencontrant sans pouvoir s’accorder, comme aussi sans pouvoir se détruire.

Arnauld occupe une telle place dans Port-Royal, qu’on a étendu naturellement à tous les doctes solitaires ce qui appartient à lui seul. Parce qu’Arnauld était cartésien, on en a conclu que tous ces Messieurs l’étaient aussi. La conclusion n’est nullement fondée. Si Port-Royal ne put venir à bout du cartésianisme d’Arnauld, il n’est pas moins vrai qu’Arnauld ne put séduire Port-Royal au cartésianisme. Il avait beau présenter Descartes sous le manteau de saint Augustin le philosophe paraissait toujours et épouvantait Port-Royal. Arnauld entraîna Nicole et le duc de Luynes[1] ; mais tout le reste demeura froid ou ennemi. Il faut voir dans Fontaine quel scandale excitait dans la sainte maison ce goût nouveau et inouï pour la philosophie[2]. Sacy en gémissait, et tout le monde pensait comme Sacy. Pendant quelque temps on n’osa pas se plaindre ouvertement. Arnauld possédait une autorité immense ; il était prêtre et docteur ; il avait été confesseur de Port-Royal ; il était le frère et l’oncle des trois personnes les plus illustres et les plus vénérées, la mère Angélique, la mère Agnès, la mère Angélique de Saint-Jean ; toute sa famille peuplait en quelque sorte Port-Royal ; il était le chef avoué, la lumière et l’ame du parti. Et pourtant des signes de révolte éclataient de loin en loin. Le duc de Liancourt, personnage à tous égards si considérable, rompait quelquefois en visière à l’illustre docteur. Les choses en vinrent au point que vers l’année 1680 on prit la résolution de faire un dernier effort pour enlever Arnauld à la philosophie. Un de ses amis les plus intimes, le théologal d’Aleth, M. du Vaucel, composa un véritable manifeste intitulé : Observations sur la Philosophie de Descartes[3]. Là, du Vaucel se plaignait qu’Arnauld compromît Port-Royal en donnant à penser que Port-Royal était cartésien, tandis qu’il n’y avait de cartésiens parmi eux qu’Arnauld et Nicole. Il déclarait qu’au lieu de défendre Descartes contre les jésuites, il fallait s’unir aux jésuites contre Descartes. Il se prononçait avec force

  1. Le traducteur des Méditations.
  2. T. II, p. 52 sqq.
  3. Préface historique du tome XXXVIII, p. 16.