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de la méthode géométrique, s’élança vite à toutes les extrémités de la grace janséniste ; et trop convaincu, trop intrépide pour séparer la pratique de la théorie, dès qu’il eut embrassé la grace de Jésus-Christ, il ne connut, il ne suivit qu’elle. Pour elle, il eût donné son sang dans la question du formulaire : il fit plus, il fit de sa vie entière une mort continue ; il mourut à tout sentiment de plaisir, même le plus innocent[1], et quand il sentit s’approcher la dernière heure, pour mieux ressembler à Jésus-Christ, il demanda avec la plus vive instance d’aller rendre l’ame dans un hôpital et sur le grabat des pauvres malades. Dans la pratique comme dans la théorie, le caractère propre de Pascal est celui d’une conséquence inflexible pour les autres et pour lui-même ; et en même temps il joignait à cette énergie naturelle l’ame la meilleure et l’esprit le plus fin. Il y avait en lui à la fois de l’enfant, du bel-esprit, du héros et du fanatique. Il ne prenait et ne faisait rien à demi. Or, quand on pousse l’attachement à un principe jusqu’à lui sacrifier toutes les douceurs de la vie, il n’en coûte guère d’y ajouter la philosophie. Et en vérité, de la part de Pascal, ce dernier sacrifice n’avait pas un très grand mérite.

La philosophie s’appelait alors le cartésianisme. Pascal possédait parfaitement de cette grande philosophie la partie mathématique et physique, mais il s’était à peu près arrêté là. Moitié sévérité d’esprit, moitié défaut d’étendue, Pascal n’aspirait pas à des vues universelles sur la nature. C’était sans doute un moyen assuré d’éviter bien des erreurs, mais par là aussi il a manqué la plus grande gloire : il n’a point placé son nom parmi ceux des Galilée, des Descartes, des Newton et des Leibnitz. Il faisait partie d’une petite société de gens d’esprit et de mérite où il était à la mode de dénigrer Descartes et de l’attaquer par ses mauvais côtés, par exemple, la matière subtile et quelques autres hypothèses, ce qui était assez facile, sans rien mettre à la place, ce qui était plus facile encore. De temps en temps, Descartes appliquait de rudes leçons au plus téméraire de cette petite société, l’emporté et jaloux Roberval[2]. Dans l’affaire de la pesanteur de l’air, il y eut entre Pascal et Descartes un démêlé encore mal éclairci, où Pascal, qui adorait la gloire, eut au moins le tort d’oublier un peu trop le nom de Descartes parmi ceux qui avaient pu le mettre sur la voie de ses célèbres expériences[3]. C’étaient deux génies entièrement opposés et

  1. Vie de Pascal, par Mme Périer.
  2. Montucla, Histoire des Mathématiques, t. II, p. 55 et 144.
  3. Baillet, dans la Vie de Descartes, démontre, par les lettres même de Descartes, combien Pascal a été peu juste envers son illustre devancier. Bossut, dans sonDiscours sur la vie et les ouvrages de Pascal, traite sur ce point Baillet avec beaucoup de hauteur. Montucla, dont l’impartialité et les lumières ne peuvent être contestées, porte à peu près le même jugement que Baillet, Histoire des Mathématiques, t. II, p. 205.