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aucun des principes du jansénisme, mais il les possède et les professe tous avec une modération assurée et en quelque sorte avec une douceur inflexible. Or, demandez à Fontaine l’opinion de Sacy sur le cartésianisme et la philosophie : Fontaine vous dira qu’il blâmait fort ses deux illustres amis de leur attachement à la philosophie nouvelle[1]. « Souriant doucement quand on lui parlait de ces choses, il témoignait plus plaindre ceux qui s’y arrêtaient qu’avoir envie de s’y arrêter lui-même… Il disait que M. Descartes était à l’égard d’Aristote comme un voleur qui venait tuer un autre voleur et lui enlever ses dépouilles… Dieu, disait-il, a fait le monde pour deux choses, l’une pour donner une grande idée de lui, l’autre pour peindre les choses invisibles dans les visibles. M. Descartes détruit l’un et l’autre… Au lieu de reconnaître les choses invisibles dans les visibles, comme dans le soleil, qui est le dieu de la nature, et de voir en tout ce qu’il produit dans les plantes l’image de la grace, il prétend au contraire rendre raison de tout par de certains crochets qu’ils se sont imaginés. Je les compare à des ignorans qui verraient un admirable tableau, et qui, au lieu d’admirer un tel ouvrage, s’arrêteraient à chaque couleur en particulier, et diraient : Qu’est-ce que ce rouge-là ? de quoi est-il composé ? C’est de telle chose ou c’est d’une autre… Ces gens-là cherchent la vérité à tâtons ; c’est un grand hasard s’ils la trouvent. » Telles étaient les dispositions générales et véritables de Port-Royal envers le cartésianisme et la philosophie. Aussi, quand M. Singlin envoya son nouveau et illustre pénitent à Port-Royal-des-Champs, ce fut, dit Fontaine[2], « afin que M. Arnauld lui prêtât le collet pour les sciences, et que M. de Sacy lui apprît à les mépriser. » Pascal se forma promptement à cette école, et parvint bientôt où en était Sacy ; mais, de l’humeur dont il était, il ne se contenta pas de mettre de côté la philosophie, il la foula aux pieds. Et, ici encore, l’exact logicien, les principes de Port-Royal admis, ç’a été Pascal ; Nicole et Arnauld furent encore une fois pour le sens commun et l’inconséquence. Pourquoi ? Par bien des raisons qu’il serait trop long de faire connaître. Marquons-en brièvement quelques-unes.

D’abord Pascal avait toute l’ardeur d’un néophyte. Converti à la fin de 1654, mort au milieu de 1662, dans ce court intervalle rempli par les grandes luttes des Provinciales, par des maux cruels et une agonie de près de deux années, Pascal, né avec une humeur bouillante[3], une force et une rigueur d’esprit encore accrues par les habitudes

  1. Mémoires de Fontaine, t. II, p. 53.
  2. Ibid., p. 55.
  3. Jacqueline Pascal, p. 225.