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au frère de Jacqueline, ce trait merveilleux de superbe et d’ironie à l’endroit de la raison et de la philosophie, et en même temps d’absolue soumission entre les mains de la grace, qui font de Pascal un homme à part dans Port-Royal même, et le mettent, quant au jansénisme, bien au-delà de Nicole et même d’Arnauld.

Chose admirable ! dans Port-Royal, Saint-Cyran excepté, les plus rigides en fait de doctrine n’ont pas été les hommes, mais les femmes, non pas les ecclésiastiques, mais les laïques, non pas Nicole et Arnauld, mais Domat et Pascal. Dans l’affaire capitale du formulaire[1], les femmes, Jacqueline à leur tête, étaient d’avis de tout braver plutôt que de signer le contraire de ce qui leur paraissait la vérité. Elles ne signèrent que par déférence pour ceux qui gouvernaient Port-Royal ; et Jacqueline succomba, trois mois après la fatale signature, sous les scrupules et les angoisses de sa conscience. Dans une assemblée qui se tint chez Pascal, celui-ci proposa de résister[2]. La grace janséniste lui était devenue la vérité tout entière, le premier et le dernier mot du christianisme. Pour elle, il fut d’avis de tout hasarder, même Port-Royal. Mais il n’y allait pas seulement de Port-Royal, il y allait de la discipline ecclésiastique et de l’unité de l’église. Pascal et sa sœur ne reculèrent pas devant cette extrémité. Cette jeune femme, qui n’avait pas trente-six ans, osa dire à un docteur, à M. Arnauld, avec une hauteur et une véhémence dignes de son frère ou de Démosthènes : « Je ne puis plus dissimuler la douleur qui me perce jusqu’au fond du cœur de voir que les seules personnes à qui il semblait que Dieu eût confié sa vérité, lui soient si infidèles que de n’avoir pas le courage de s’exposer à souffrir, quand ce devrait être la mort, pour la

  1. Le récit de cette affaire est partout. J’en ai rappelé les traits principaux dans les Documens inédits sur Domat, Fragmens littéraires, p. 240, et dans Jacqueline Pascal, p. 396.
  2. Remettons sous les yeux du lecteur cette scène où se peint l’ame de Pascal. Jacqueline Pascal, p. 397 : « La majorité des assistans, entraînée par Nicole et Arnauld, se prononça pour la signature. Ce que voyant, dit le Recueil d’Utrecht d’après Mlle Périer, M. Pascal, qui aimait la vérité par-dessus toutes choses, et qui, malgré sa faiblesse, avait parlé très vivement pour mieux faire sentir ce qu’il sentait lui-même, en fut si pénétré de douleur, qu’il se trouva mal et perdit la parole et la connaissance. Tout le monde en fut surpris et s’empressa pour le faire revenir. Ensuite, ces messieurs se retirèrent ; il ne resta que M. de Roannez, M. Domat et M. Périer le fils. Quand M. Pascal fut tout-à-fait remis, M. Périer lui ayant demandé ce qui avait causé son accident : Quand j’ai vu toutes ces personnes-là, lui dit-il, que je regarde comme ceux à qui Dieu a fait connaître la vérité, et qui doivent en être les défenseurs, s’ébranler, je vous avoue que j’ai été si saisi de douleur, que je n’ai pu la soutenir, et il a fallu succomber. »