Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/341

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux parties essentielles de la nature humaine, la raison et la volonté, soient radicalement viciées et absolument incapables, celle-ci d’apercevoir le bien et celle-là de l’accomplir, il faut de toute nécessité que la grace intervienne d’autant plus énergiquement, puisqu’il s’agit, non plus de secourir et de fortifier l’homme, mais en réalité de créer un homme nouveau, en substituant à la raison une lumière surnaturelle et à la volonté une force étrangère. L’église catholique, gardienne et interprète de la foi chrétienne, s’est constamment placée entre ces deux extrémités. L’église a décidé que par le péché originel la nature humaine est réellement déchue, qu’ainsi la raison et la volonté ont perdu le pouvoir qu’elles avaient originairement reçu, ce pouvoir souverain et infaillible qui faisait d’Adam une créature presque angélique, capable d’apercevoir toutes les vérités à leur source même et d’accomplir le bien sans aucun effort. L’église a décidé en même temps que par le péché originel la nature n’était pas à ce point déchue que la raison fût devenue absolument incapable du vrai et la volonté du bien, du moins dans l’ordre des vérités et des vertus naturelles. L’église prévenait ainsi les deux erreurs contraires dans la matière de la grace. Et là encore elle a porté ces deux décisions, conformes aux deux premières : 1° que la grace est nécessaire pour révéler à l’homme les vérités et les vertus de l’ordre surnaturel, sans lesquelles il n’y a point de salut ; 2° que la grace vient au secours de la nature sans la détruire, qu’elle n’éteint pas la lumière naturelle, mais l’éclaire et l’agrandit, et que la liberté humaine subsiste entière, avec les œuvres qui’ lui sont propres, sous les impressions de la grace[1].

Sur tous ces points, Port-Royal a excédé la doctrine catholique. En outrant la puissance du péché originel, il s’est condamné lui-même à outrer celle de la grace réparatrice.

Nous l’avons dit bien des fois[2] : le génie du jansénisme est le sentiment dominant, non pas seulement de la faiblesse, mais du néant de la nature humaine. Depuis la chute d’Adam, la raison et la volonté sont par elles-mêmes radicalement impuissantes pour le vrai et pour le bien. L’homme ne possède d’autre grandeur et il ne garde d’autre

  1. On comprendra que toutes citations sont ici impossibles. Nous nous bornons à renvoyer au concile de Trente et aux constitutions et bulles papales qui ont condamné le livre de Jansénius.
  2. Voyez Jacqueline Pascal, p 423, et les articles du Journal des Savans, novembre et décembre 1844, et janvier 1845, sur les Rapports du Cartésianisme et du Spinozisme.