Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/340

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jadis remplissait les ordres religieux, les parlemens, les universités. A Paris, dans un coin du faubourg Saint-Jacques et du faubourg Saint-Marceau, trois ou quatre familles nourrissent un culte obscur pour ces illustres mémoires : on y parle entre soi, avec respect et recueillement, des vertus et des infortunes de la mère Angélique, de sa sœur et de sa nièce : on y prononce presque à voix basse les grands noms de M. Arnauld et de M. Pascal ; on fait en secret des vœux pour la bonne cause ; on déteste les jésuites, et surtout on en a peur. Chaque jour emporte quelques-unes de ces ames qui ne se renouvellent plus. Port-Royal est tombé dans le domaine de l’histoire. Nous pouvons donc le juger avec respect, mais avec liberté. Et d’ailleurs, nous aussi nous avons appris à son école à préférer la vérité à toutes choses ; et puisqu’aujourd’hui on s’arme de ce grand nom pour attaquer ce qui nous est la vérité, et la première de toutes les vérités, à savoir le pouvoir légitime de la raison et les droits de la philosophie, c’est Port-Royal lui-même qui, au besoin, nous animerait à le combattre : à défaut de sa doctrine, son exemple est avec nous dans la lutte que nous soutenons.

Disons-le donc sans hésiter : le jansénisme est un christianisme immodéré et intempérant. Par toutes ses racines, il tient sans doute à l’église catholique ; mais par plus d’un endroit, sans le vouloir ni le savoir même, il incline au calvinisme. Il se fonde particulièrement sur deux dogmes, déjà bien graves en eux-mêmes, qu’il exagère et qu’il fausse dans la théorie et dans la pratique : je veux parler des dogmes du péché originel et de la grace. En touchant à cette matière épineuse, je m’efforcerai d’être aussi court que le soin de la clarté le permettra.

Le nom de Port-Royal demeure attaché au problème de la grace qui a tant agité le XVIIe siècle ; .mais il est impossible de discerner en quoi gît l’erreur de Port-Royal sur la grace, si l’on ne remonte à la source mal connue de cette erreur.

Le dogme de la grace se rapporte à celui du péché originel. C’est parce que la nature humaine a subi dans son premier représentant une corruption plus ou moins profonde, qu’elle a besoin d’une réparation, et d’une réparation proportionnée à sa corruption : à ce vice de la nature le remède nécessaire est la grace surnaturelle de Jésus-Christ. Ces deux dogmes étant étroitement liés, l’un des deux ne peut être altéré sans que l’autre ne le soit également et dans la même mesure. Supposez que dans le berceau du monde la corruption de la nature ait été peu de chose, l’intervention de la grace sera presque superflue. Supposez, au contraire, que la corruption ait été entière, que les