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l’imagine. En Prusse, un règne qui s’annonçait avec des intentions libérales s’engage de plus en plus dans une direction toute contraire, et s’aliène chaque jour les sympathies qu’il avait excitées d’abord. On parle d’une constitution qui doit être prochainement octroyée, mais les journaux de l’Allemagne se taisent encore sur ce grave sujet. Attendons, avant d’apprécier l’importance et les suites probables de cette révolution. Il faut pour cela connaître la nature du contrat ou de la donation royale ; il faut savoir si ce ne sera point une fiction vaine comme dans les états du midi, comme en Bavière et en Wurtemberg. Je m’arrête, et je veux juger seulement la situation actuelle. Or, les illusions ne sont plus possibles : la fermentation sourde qui travaille les peuples allemands éclate de loin en loin et jette une lueur sinistre sur l’état des esprits. L’opposition grossit en silence, et bientôt on pourra voir d’un côté toutes les forces vives de la nation, et de l’autre un gouvernement soupçonné, qui rêve un nouveau moyen-âge, une organisation de castes et de privilèges, au moment même où l’esprit moderne s’éveille dans l’ame de ses peuples. Pour cacher ce vide qui se fait tous les jours autour du trône, le roi réunit à Berlin une assemblée d’hommes éminens ; la science et les arts y ont des représentans illustres, mais tous ces hommes appartiennent au passé, ce sont les tories des lettres et de la philosophie. Cependant une jeune génération entre dans la vie, ardente, avide, et cherche en vain de quel côté viendra le secours. C’est surtout un point d’appui qui manque. Je ne parle plus seulement de la Prusse, mais de l’Allemagne tout entière. Il manque une croyance, une foi, une direction enfin, une direction ferme et honnête qui règle ces mouvemens inquiets de la pensée publique. Le protestantisme, ébranlé par la critique théologique, a abandonné, depuis la mort de Schleiermacher, la position élevée que cette noble intelligence avait prise, et la peur des théories hégéliennes l’a précipité dans un méthodisme ténébreux. Le catholicisme de Munich, dédaigné par la science du Nord comme un ennemi sans valeur, exhale son impuissante colère dans les poétiques divagations du vieux Goerres. La philosophie, si grande, si impérieuse il y a vingt ans, est tombée en poussière, et le riche patrimoine de Hegel est dissipé par des écoliers émancipés en d’interminables orgies. Dans ce dénûment universel, une seule chose reste encore, le rire fantasque, l’ironie fine, subtile, affectée souvent. L’oiseau bleu des contes de fée voltige sur toutes ces ruines et chante coquettement ses cantilènes moqueuses. Les hommes qui s’intéressent aux destinées de l’Allemagne voudraient trouver autre chose dans ce pays ; ils lui souhaitent de se préparer plus