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lui-même ; puisqu’il avait disposé dans de petites niches parfaitement ornées de si plaisantes caricatures, j’aurais aimé que la sienne eût sa place dans cette galerie et pût en faire les honneurs. Au lieu de cela, nous aurons un appel à son génie, un dithyrambe, quelque chose comme une ode à Olympio. La déesse lui dit très-sérieusement que de tous les poètes d’Allemagne, Klopstock a été autrefois son enfant le plus cher, mais qu’aujourd’hui l’auteur d’Atta Troll lui a succédé dans son amour. Elle lui montre son portrait suspendu dans la petite chambre ; il est couronné de lauriers. Seulement, elle lui reproche d’avoir si souvent offensé sa patrie. Le poète s’excuse et explique sa conduite. Enfin, après de longues conversations, après de mutuelles confidences, elle le supplie de ne pas retourner à Paris, chez ce peuple immoral, dans cette atmosphère de corruption et d’impiété. Pour le décider, elle va lui dévoiler l’avenir de l’Allemagne ; mais d’abord il faut qu’il jure de ne jamais révéler ce secret terrible : oui, terrible, en effet, car l’auteur revient ici à ses prédictions de haine et de vengeance implacable. La même inspiration qui lui dictait la scène de Cologne ou les dernières pages de ses fantaisies sur l’Allemagne reparaît tout à coup avec une indomptable énergie. Le poète a beau dire qu’il se taira, qu’il ne révélera rien, il en dit assez pour porter l’effroi dans les ames inoffensives de son pays, et ce demi-silence qu’il garde ajoute encore à la mystérieuse horreur de ses lugubres inventions. « Je ne puis révéler ce que je vis, s’écrie-t-il, mais je fus saisi d’épouvante et de dégoût. Quand la déesse eut soulevé le voile, une odeur empestée me prit à la gorge. C’était comme si l’on eût remué des restes infects au fond de trente-six sépulcres. Saint-Just a bien dit, je le sais, qu’on ne guérissait point les grandes maladies avec de l’huile de rose, mais cette abominable odeur était pire que tout ce que j’aurais pu imaginer. Je ne pus la supporter plus long-temps et je m’évanouis. » Quand il se réveille, la déesse est auprès de lui, inspirée, exaltée. Elle le supplie de rester en Allemagne, elle l’aime comme elle n’a jamais aimé aucun poète. En même temps il lui semble, dans son enthousiasme, qu’elle entend déjà l’avènement joyeux des temps qui vont venir. Les crieurs de nuit chantent des sérénades, des chansons d’hyménée ; les rues s’illuminent de torches, de flambeaux, et le peuple danse sur les places. La description de la fête continue ainsi, et comme le poète est agité par le vin fumeux de sa colère, comme sa parole est brusque, éclatante, comme il fait retentir à nos oreilles toute cette musique, tous ces tam-tams, tous ces tambours de basque, il nous abandonne au milieu des saturnales, étourdis,