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que les chambres de commerce étudient la question, trois sur quatre reviennent au privilège, unanimement réclamé par les négocians, les traitans et l’administration de Saint-Louis, sinon comme un système définitif, du moins comme une mesure destinée à préparer un état de choses meilleur.

La dernière ordonnance sur la traite des gommes, rendue le 15 novembre 1842 d’après les conclusions de la commission, reconnaît, comme en 1841, le principe de la libre concurrence sous certaines restrictions, avec la faculté pour le gouverneur de rétablir le compromis quand les circonstances l’exigeront. Il est inutile de s’arrêter aux autres dispositions de la loi, qui ne pourraient avoir d’effet qu’autant que la libre concurrence, même limitée, conduirait à un commerce actif et régulier. Les restrictions imposées par le nouveau règlement suffiront-elles à empêcher les désordres du fleuve ? Si l’état de crise où est définitivement tombée la colonie en 1842 tient surtout, selon la commission, à l’abondance de la marchandise sur les marchés, la liberté des échanges admise par le gouvernement n’engagera-t-elle pas les ports de France à envoyer au Sénégal toutes les guinées qu’ils pourront tirer de l’Inde ? Ces arrivages ne surpasseront-ils pas les besoins assez limités des escales, où l’abaissement du prix des tissus se fera sentir de plus en plus ? L’encombrement des étoffes à Saint-Louis, que la fixation du taux de la guinée n’arrêtera plus, ne poussera-t-il pas les marchands à lutter contre les traitans dans le fleuve ? Le système, on le voit, ne se prononce franchement ni pour ni contre le privilège ; il admet la liberté des échanges, mais en tolérant le compromis, si les circonstances en exigent l’application. Il pose un principe et laisse subsister des restrictions que ce principe repousse. Au lieu de cette réforme à la fois illogique et timide, au lieu de placer la colonie entre l’excès de la concurrence et l’excès du privilège, il valait mieux renoncer à proclamer la liberté du commerce sur une terre qui n’est pas préparée à en jouir ; il valait mieux rentrer franchement dans le système de l’association, c’est-à-dire appliquer le privilège avec modération, avec prudence. Ce système comptait de nombreux adhérens, et offrait les avantages du compromis sans en avoir les dangers.

La libre concurrence a forcé l’autorité à tomber dans le compromis, et le compromis doit inévitablement pousser l’administration vers l’abîme qu’elle avait voulu éviter, quand l’acte d’association lui avait paru la seule porte de salut pour sortir de la misère et pour arrêter l’exploitation des traitans. La commission, qui a sérieusement étudié, on doit le reconnaître, la question épineuse du commerce des gommes, sent fort bien qu’elle n’a pas trouvé une solution complète aux difficultés du Sénégal ; elle avoue, en terminant son rapport, qu’elle n’a pu présenter des vues positives, concordantes, sur le régime commercial à suivre en Afrique. Cette déclaration, loin de nous abattre, doit nous exciter à de nouveaux efforts ; le problème traité par la commission n’intéresse pas seulement le commerce de la France,