Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/294

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

imprudemment le prix de la guinée. Nous n’hésitons pas à dire que ceux qui manifestent de pareilles craintes n’ont aucune connaissance des affaires du fleuve et de la topographie du pays. Les sources du Sénégal se trouvent dans le Fouta-Dialion, non loin des sources de la Gambie, par 13° 37’ de longitude ouest, et son cours a plus de 400 lieues. Les Maures Dowiches habitent le pays compris entre le 14° et le 16° degré de longitude ouest, les Braknas entre le 16° et le 18°, et les Trarzas, les seuls que le Sénégal ait à redouter, entre le 18° et le 19° degré, c’est-à-dire près de la nier du côté de Portendik. Pour aller chercher les sources de la Gambie, les Dowiches auraient à faire, avec les nombreux circuits du fleuve, 200 lieues ; les Braknas 300, et les Trarzas plus de 400. Les Maures ne possèdent pas une seule barque ; la navigation se trouve du reste interrompue aux cataractes. Il faudrait donc, pour soustraire les gommes à la France, en profitant de la proximité de la Gambie, que les Maures quittassent leur pays ; les Dowiches devraient passer sur le territoire de tribus ennemies, les Braknas sur les terres des Dowiches, et les Trarzas sur celles de toutes ces peuplades, avec leurs femmes, leurs enfans et leurs troupeaux innombrables. Cette émigration dans un désert sans eau, sans pâturages, durant la plus grande partie de l’année, n’est-elle pas, pour employer le langage de la commission, une de ces hyperboles auxquelles il est tout simple que l’intérêt privé se soit laissé entraîner ? Et les frais de cet incroyable voyage annuel de 800 lieues entre l’aller et le retour ne surpasseraient-ils pas les bénéfices les plus exagérés que la concurrence anglaise pourrait assurer aux Arabes ? Mais parlons sérieusement : les Maures ont, il est vrai, traité à Portendik ; ce fait s’est présenté une fois, et ce sont les Trarzas qui, dans la guerre désastreuse que leur fit, il y a quelques années, M. le contre-amiral Quernel, alors capitaine de vaisseau, s’avisèrent de porter leurs gommes aux bâtimens anglais. Néanmoins toutes les personnes qui ont pu étudier sur les lieux les dispositions des Trarzas savent qu’ils ne sont plus tentés de renouveler la malheureuse tentative de 1833. Les Trarzas, qui s’étaient alors rendus à Portendik, durent regagner les marigots après des pertes considérables, et quand ils virent les barques françaises descendre le fleuve, rapportant à Saint-Louis les gommes achetées aux Braknas, ces malheureux, au désespoir, tendirent des mains suppliantes et demandèrent la paix. L’unique expédition de Portendik coûta si cher aux Trarzas, que, malgré la ruse et la dissimulation profondes qui distinguent les Arabes, ils ne purent cacher le désastre qu’ils avaient essuyé. La traite de Portendik, si désastreuse pour les Maures, n’avait guère eu de meilleurs résultats pour les Anglais, et la seule maison Foster de Bathurst perdit des millions à Portendik. On peut conclure hardiment de ce fait que la force même des choses rend inutiles les tentatives des Anglais.

En admettant d’ailleurs, avec la commission, que le haut prix auquel le compromis ou l’association porte la guinée aux escales, mécontentât momentanément les Maures habitués aux profits de la concurrence, pourquoi