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en quantité énorme, et la traite de 1843, faite d’après les règlemens de la commission, a été complètement nulle. On ajoute que l’association a produit des conséquences contraires à son but, et la commission s’étonne que 275 souscripteurs seulement, sur une population de 13,000 ames, aient signé un acte d’association qui prétendait satisfaire aux intérêts de tous ; mais il suffit de jeter un coup d’œil sur la population de Saint-Louis pour s’expliquer cette apparente anomalie. Saint-Louis compte 13,000 habitans, dont 150 européens et 150 traitans libres ou esclaves, entrepreneurs aux escales. Le reste de la population se compose de captifs et d’indigènes tout-à-fait étrangers aux bénéfices de la traite, qui n’occupe réellement que 300 personnes. Plusieurs petits boutiquiers, de pauvres traitans sans ressources, au nombre de 25, n’ont pu sans doute remplir les conditions exigées, et l’association n’a compté que 275 membres au lieu de 300, chiffre que les intéressés au commerce des gommes ne sauraient guère dépasser. Quant aux 150 Européens établis à Saint-Louis et à Gorée, ils ne font pas tous des affaires aux escales, et l’association, en ne les admettant pas, a obéi au principe déjà adopté dans la colonie et qui prononce l’exclusion partout où il y a limite : c’est ainsi que l’acte de 1834 interdit le commerce du fleuve à tout négociant qui ne se serait pas livré à la traite depuis au moins trois ans.

Enfin les adversaires de l’association ont voulu prouver dans l’enquête et sont parvenus à faire croire à la commission que « la convention qui fixait le prix des guinées au Sénégal devait avoir pour effet d’éloigner les Maures des escales, de les dégoûter de leurs rapports avec nous, de les décider à aller traiter à Portendik ou sur la rivière de Gambie avec les Anglais, qui leur offraient des conditions plus favorables. » En un mot, le monopole amènerait tôt ou tard pour la France la perte du commerce des gommes et la ruine totale du comptoir. La commission, si l’on en croit le rapport, a d’abord considéré cette appréhension comme une de ces hyperboles auxquelles de part et d’autre, dans cette question comme dans toutes celles où l’intérêt privé est en jeu, il est tout simple de se laisser entraîner. Cependant elle s’est souvenue qu’à une époque où la colonie était en guerre avec les Maures Trarzas, il a été traité des gommes avec les Anglais à Portendik. « Quoique ce fait, dit-elle ; dans son rapport, ne se soit pas reproduit depuis, il a eu lieu, et il pourrait reparaître, si notre imprévoyance laissait naître des circonstances qui le rendissent possible. La commission a donc scrupuleusement étudié la question du transport des gommes à Portendik, et il est demeuré pour elle de la dernière évidence que ce n’était là pour les Maures qu’une question de frais[1], et qu’ils s’éloigneraient pour peu qu’on élevât

  1. La commission explique ce qu’elle entend par ce mot frais dans un pays où il n’y a pas d’argent : c’est en travail et en dangers, dit-elle, que les frais se paient. Cette définition, il est facile de le prouver, tourne contre ceux qui l’adoptent, et qui croient qu’en maintenant à un taux élevé le prix de la guinée, on déciderait les Maures à prendre la route de Portendik.