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leurs pertes ; les indigènes libres, les plus pauvres négocians se lancèrent dans cette voie, réputée la seule lucrative ; tous les habitans se livrèrent dès-lors au commerce des gommes, et la traite prit aussitôt les plus vastes proportions sous le régime de la libre concurrence, qui avait enfin remplacé le monopole des anciennes compagnies. Les affaires allèrent bien d’abord. L’ensemble des importations des étoffes de guinée, servant aux échanges avec les Arabes, et des exportations de gommes s’éleva de 3,600,000 fr. à plus de 5,000,000 en 1823. Les progrès se continuèrent jusqu’en 1839. Cette année vit le mouvement général du commerce tomber subitement à la somme de 13,600,000 fr. ; en 1840, le commerce descendait à 11,800,000 fr., après avoir atteint 17,000,000 fr. en 1838. Une baisse aussi sensible épouvanta les ports de France, quoique l’administration de la colonie eût déjà prévu et annoncé depuis long-temps les malheurs qu’une sordide concurrence et la violation des vieux principes de la traite devaient amener tôt ou tard. Mais, avant d’entrer dans le détail des faits qui ont amené la crise, il est indispensable de faire connaître comment et par quels agens se fait la traite des gommes. Ces préliminaires sont essentiels et touchent au fond de la question.

Les deux espèces d’acacias qui produisent la gomme rouge et la gomme blanche sont généralement répandues sur tout le continent africain, dans les plaines sablonneuses qui viennent si tristement interrompre la puissante végétation de certaines parties du sol ; ces arbres se montrent surtout au milieu des sables qui bordent la nier, depuis le cap Blanc jusqu’à Rufisque, extrémité sud de la rade de Gorée, et se sont propagés à l’infini au nord du Sénégal, entre Galam et l’escale du Désert. Les bois maures des puits du Sahel, d’El-Hiebar et d’Al-Fatak, d’où l’on tire presque toutes les gommes expédiées en France, ne sont pas les seuls que les négocians de Saint-Louis pourraient exploiter ; il en existe d’autres, vers l’est, dont le produit annuel monterait facilement à un million de livres. Les rives du fleuve, les grandes îles que l’on trouve en suivant son cours, sont couvertes de gommiers magnifiques, et cette récolte, complètement négligée, fournirait près de 500,000 livres de gommes. La rive gauche en produit aussi, et les recherches de l’administration ont constaté l’existence de plusieurs forêts dans le pays des Yolofs. Jusqu’ici les Maures ont profité de leur supériorité vis-à-vis des nègres pour conserver la fourniture de cette denrée, et leur jalousie semble un obstacle insurmontable aux tentatives des négocians qui ont abandonné la traite insignifiante des marigots au commerce secondaire, dont les petites embarcations parcourent les affluens du Sénégal. Enfin, Saint-Louis tire une assez grande quantité de gommes du comptoir de Galam, approvisionné par les Maures Dowiches. Cette traite particulière appartient à une association de marchands qui, depuis quatre ans, embrasse en outre le commerce du bas de la côte et de la rivière Cazamance. Le privilège de cette compagnie s’exerce seulement une partie de l’année, lorsque le fleuve n’est pas navigable ; au 1er avril, les échanges sont libres.

Le commerce des gommes aux escales se fait par l’intermédiaire des