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d’autres termes, à la véritable coupole de cet édifice de rochers. Je voudrais trouver à cette gigantesque nature un objet de comparaison digne d’elle. Avez-vous jamais essayé de vous représenter les ruines d’une ancienne cité égyptienne, Memphis ou Palmyre ? Eh bien ! non, ce n’est point cela encore : figurez-vous quelque cimetière d’Orient où de colossales pyramides se presseraient les unes contre les autres, coupées seulement çà et là par des arbres verts d’une végétation surnaturelle, ou plutôt imaginez un de ces immenses temples grecs d’où le christianisme naissant chassa si brutalement les aimables et souriantes divinités du paganisme, le Serapœum d’Alexandrie par exemple. Ici en effet, comme dans les salles dévastées du sanctuaire de Sérapis, votre œil croit découvrir des forêts de colonnes mutilées, et çà et là, dans les enfoncemens, de sombres niches taillées dans le granit où semblent se dresser encore des tronçons de statues. Voyez ce bloc énorme à ma droite, ne dirait-on pas une idole sublime, quelque Isis voilée dont un stupide Vandale aurait abattu la tête ? Et ces deux pierres d’égale dimension posées vis-à-vis l’une de l’autre, et qu’on nomme les Jumelles (die Zwillinge), ces deux pierres ne vous représentent-elles pas deux pendans façonnés par la main du même maître ? A cette place, on remarquera aussi un écho merveilleux par la précision et la sonorité avec lesquelles il répercute chaque vibration. Rien ne saurait rendre l’effet extraordinaire que produisit en nous, au sein d’une pareille nature, cette voix invisible et mystérieuse. Comme pour ajouter encore au romantisme de la scène, en ce moment la lune se levait, et sa lumière blafarde, en se projetant sur les rochers qui nous environnaient, éclaira bientôt les mornes solitudes des fantastiques édifices où plongeait notre vue. Un frisson me saisit. Esprit de ces profondeurs, m’écriai-je, lève-toi ! — Lève-toi ! me répondit au même instant l’abîme dont la voix, emportant la mienne, s’éteignit ensuite peu à peu dans l’immensité.

Nous arrivâmes à nuit close à Rotthenwald, où nous attendait un bon gîte, et, qui plus est, un spectacle fait pour tenter la verve d’Hoffmann ou de Callot. Devant la petite auberge du village, établie gaiement sous un dôme de tilleuls embaumés, la population de l’endroit célébrait à grand bruit une de ces kermesses carillonnées qui se prolongent d’ordinaire à l’infini dans les provinces de la Basse-Allemagne. On en était au quatrième jour de la fête, et tout annonçait un redoublement dans la joie de cette folle multitude, qui remplissait l’air de ses cris et de ses chansons. On s’embrassait, on riait, on dansait ; les verres s’entrechoquaient sous les arbres, et les fusées serpentaient