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cette contrée, où aucun effort sérieux et patient n’avait encore été fait. La paternelle administration de la compagnie entretint la paix entre les différens peuples pendant cinquante ans : plusieurs essais de culture réussirent, et les noirs couvrirent de jardins la rive gauche du Sénégal ; mais le plus bel éloge que l’on puisse faire du gouvernement des nouveaux directeurs, c’est le changement miraculeux opéré dans les mœurs des indigènes. « J’avais remarqué, écrit le voyageur Adanson, chez les Maures et chez les nègres un fonds d’humanité et un caractère sociable qui me donnaient de grandes espérances pour la sûreté que je devais trouver dans mes relations avec eux. » Les agens de la compagnie relevèrent plusieurs forts sur la côte et dans l’intérieur ; ils donnèrent l’élan au commerce de la gomme ; enfin ils se préparaient à exploiter les mines d’or, d’argent et de cuivre du Bambouk, lorsque la guerre de sept ans éclata. Cette guerre, que l’Angleterre divisée cherchait à éviter, s’annonçait sous d’heureux auspices pour sa rivale ; mais le génie du premier des Pitt, depuis si célèbre sous le nom de lord Chatam, vint bientôt changer la face des affaires. Cinq cents bâtimens marchands français capturés aux attérages, l’île de Gorée enlevée de vive force, le Sénégal obligé de capituler, apprirent à la France qu’elle avait trouvé dans Pitt un redoutable antagoniste. Pitt voulait assurer à son pays l’empire des mers, et il réussit : la lutte fut désastreuse pour la France, qui perdit sa marine, la Louisiane, quinze cents lieues de côtes au Canada, une partie des Antilles et le Sénégal. Les conditions de la paix eussent encore été plus dures, si Pitt n’avait pas été renversé avant la signature du traité de 1763, qui rendit Gorée au roi.

La France reprit l’avantage lors de la guerre de l’indépendance d’Amérique. Quatre-vingts vaisseaux de ligne cherchèrent les Anglais sur toutes les mers, l’escadre du marquis de Vaudreuil ruina leurs établissemens de la côte d’Afrique, le Sénégal fut reconquis, et le traité de 1783 reconnut les droits de la France à cette possession. A partir de cette époque, la colonie eut des gouverneurs nommés par le roi. Le traité de 1783 mérite notre attention, parce qu’il règle encore aujourd’hui les droits respectifs de la France et de l’Angleterre sur la côte d’Afrique, et que les Anglais en ces derniers temps ont souvent cherché à l’enfreindre. D’après ce traité, la France rentra dans la propriété exclusive du Sénégal et de ses dépendances ; Gorée et le comptoir d’Albreda sur la Gambie lui furent assurés. Le fleuve de Gambie et le fort James, au-dessus d’Albreda, devinrent possessions anglaises. La Grande-Bretagne eut en outre le droit de faire la traite des gommes depuis la rivière Saint-Jean jusqu’à la baie de Portendik inclusivement, mais avec la stipulation formelle qu’elle ne pourrait former aucun établissement permanent ni dans la rivière Saint-Jean, ni sur la côte, ni dans la baie de Portendik. Cette dernière clause eût pu être plus nettement formulée. A l’époque dont nous parlons, elle avait déjà donné lieu, comme de nos jours, à d’interminables contestations. Que fallait-il entendre par un établissement fixe