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leur offrirent d’autres nations, comme l’Espagne, qui avait à couvrir de travailleurs ses immenses possessions d’Amérique déjà dépeuplées. Aussi, quoique la traite rendît aux négocians d’énormes bénéfices, elle ruina l’influence française, vieille de trois siècles ; elle enleva sans retour à notre pays les chances si favorables que lui avait assurées la conduite pleine d’humanité des Dieppois envers ses habitans ; elle fit en outre évanouir tout espoir de civilisation chez de sauvages tribus dont les instincts féroces furent encore excités par ce hideux trafic.

La compagnie fondée par Colbert ne tarda guère à être punie de ses fautes ; enhardie par quelques entreprises heureuses, elle donna bientôt une si vaste extension à ses opérations, qu’elle fléchit tout à coup sous le poids des difficultés, et se vit contrainte, par arrêt du conseil royal du 9 avril 1672, de vendre ses comptoirs. Cette vente fut faite au prix de 75,000 livres tournois et d’un marc d’or de redevance annuelle, payés pendant trente ans à une nouvelle association qui prit le titre de compagnie du Sénégal. L’édit de révocation de la compagnie des Indes occidentales déclarait, cette fois, réunis et incorporés à la couronne les terres et pays appartenant à ladite compagnie ; l’association n’en continua pas moins d’administrer ces possessions. La nouvelle compagnie débuta heureusement ; elle forma de beaux établissemens, reconnut le haut du fleuve jusqu’au Bondouck, et ses affaires étaient en voie de prospérité, quand la guerre éclata avec la Hollande. Cette guerre fut heureuse pour la France, dont les escadres s’emparèrent des cinq comptoirs que les Provinces-Unies possédaient aux environs du Sénégal. En 1678, le traité de Nimègue abandonna à la compagnie française la possession de l’île de Gorée et les établissemens de Rufisque, de Portudal, de Joal et d’Arguin. Cependant, malgré ces brillans avantages, les pertes occasionnées par la guerre avaient ruiné la compagnie ; la nouvelle cession du comptoir hollandais de Portendik ne put rétablir son crédit, et en 1681 elle fut obligée de céder son privilège pour la somme de 1,010,015 livres tournois à une autre association, également nommée compagnie du Sénégal, qui obtint le monopole du commerce d’Afrique pendant trente ans.

La branche de commerce la plus lucrative était alors la traite des noirs ; une mesure qui limitait l’étendue de côtes où ces marchés se tenaient entrava les premières opérations de la nouvelle compagnie. Son trafic fut restreint entre le cap Blanc et Sierra-Leone, et le surplus de la concession primitive, qui comprenait les côtes situées entre Sierra-Leone et le cap de Bonne-Espérance, devint le partage d’une autre société, formée en 1685 sous le titre de compagnie de Guinée. Ce démembrement, qui livrait à une association rivale les escales les plus riches en esclaves, causa la ruine de la compagnie du Sénégal. Une administration intelligente eût pu cependant tirer de cette position, défavorable en apparence, les plus heureux résultats. La mesure du gouvernement séparait, par une scission bien tranchée, deux commerces incompatibles entre eux, dont l’un avait l’exploitation du bas de la côte où