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N’est-ce pas ainsi que Cromwell (ce souvenir, bon gré mal gré, saute tout d’abord à l’esprit) faillit partir un jour pour l’Amérique, à la veille de 1640 ? il avait déjà le pied sur le vaisseau quand un ordre de la cour y mit obstacle. Si on le laissait faire, le puritanisme religieux l’emportait au bout du monde, comme la curiosité scientifique emmenait M. Thiers. Je ne compare pas, on le sent bien, celui-ci à Cromwell ; mais le fait est que le National ne nuisit pas, je pense, à l’évènement de 1830, et que de toutes les machines de siége d’alors, ce fut la mieux dressée et la mieux servie.

Quelques années après, M. Thiers, ministre de l’intérieur, donnait à dîner au capitaine Laplace, qui revenait de son expédition avec son monde décimé par les fatigues et les maladies. Il y a de ces jeux de la fortune.

Nous voici au moment où commence l’œuvre pratique de M. Thiers : il fonde le National avec ses amis, Mignet, Carrel, Sautelet, et le premier numéro parait le 3 janvier 1830. Laissons de côté des voiles inutiles, qui n’en sont plus pour personne : le ministère Polignac avait été constitué exprès pour lancer les ordonnances ; le National fut créé exprès, et le cas prévu échéant, pour renverser la dynastie parjure ; tout y fut dirigé dans ce but, et avec le soin vraiment patriotique de ne frapper qu’à la tête, en respectant autant que possible le corps de l’état, Le National mit dès son premier numéro la restauration en état de siége, avant qu’elle nous y mit elle-même en juillet ; c’est qu’elle nous y avait déjà mis in petto dès le premier jour de ce ministère de surprise qui, le 8 août 1829, consterna la France.

A mon sens, la légitimité de l’entreprise du National ne saurait être l’objet d’un doute auprès de ceux qui, même sans en vouloir radicalement à la restauration, exigeaient d’elle avant tout la sincérité du régime constitutionnel. Bien des choses se sont passées depuis ; bien des espérances et des rêves ont été déçus, bien de nobles croyances ont pu être flétries ; eh bien ! je crois que tous ceux qui participèrent alors à l’œuvre d’opposition et bientôt de délivrance, qui y mirent plus ou moins du leur, soit de leurs actes, soit de leurs vœux, ont encore droit de se dire : « Non, nous n’avons pas erré, » et qu’ils ont aussi le devoir d’ajouter : « Si nous avions à recommencer, même en sachant l’avenir, ce serait encore à refaire. »

Ceci dit une fois et pour nous mettre la conscience tout-à-fait à l’aise, l’étude de l’attaque, au point de vue tout-à-fait stratégique, nous devient singulièrement curieuse : rien de plus instructif, de plus dramatique aujourd’hui que cette lecture du National. Je n’ai pas ici