sion pour ordonner une fête commémorative en l’honneur des girondins. Rien n’était plus juste : des victimes aussi illustres, quoiqu’elles eussent compromis leur pays, méritaient des hommages ; mais il suffisait de jeter des fleurs sur leur tombe, il n’y fallait pas de sang. Cependant on en répandit à flots ; car aucun parti, même celui qui prend l’humanité pour devise, n’est sage dans sa vengeance. » Voilà des accens miséricordieux bien naturels, et qui répondent à l’imputation de système.
Telle que nous la voyons, et avec ce mélange de qualités vives et d’oublis, l’histoire de M. Thiers a rencontré du premier jour deux classes inconciliables de lecteurs. Les témoins plus ou moins victimes de la révolution n’ont jamais consenti à y reconnaître cette marche régulière jusque dans le sang, cet ordre dans le désordre ; ils ne se sont jamais laissé conduire par l’historien, si engageant qu’il fût, à ce point de vue distant où la perspective se dégage, où souvent elle se crée aussi. En revanche, les hommes tout-à-fait nouveaux, ceux qui, n’ayant rien vu de cette révolution, en ont admiré au berceau le sombre éclat, les patriotiques orages, et qui en recueillent ou qui même veulent en espérer encore les bienfaits, ceux-là ont accepté couramment et avec enthousiasme l’œuvre de M. Thiers ; ils l’ont reçue en même temps que les chansons de Béranger, comme un héritage.
Ce livre, ainsi entendu, est la vraie histoire et comme la feuille ou la carte de route des générations qui sont encore en marche ; c’est le journal de l’expédition écrit à la veille du dernier triomphe. Quand on est arrêté, c’est différent ; on veut plus de réflexion, plus de philosophie, on réagit contre les faits ; mais, pour se laisser guider au fil du courant, rien de plus séduisant, de mieux vu et de plus rapide ; les obstacles disparaissent, sont aplanis. Ce récit dramatique encourage, enflamme, et produit un peu l’effet d’une Marseillaise ; il fait aimer passionnément la révolution.
À ce degré, est-ce un bien ? est-ce un mal ? Questions brûlantes, sur lesquelles l’historien lui-même, devenu homme de gouvernement, a dû hésiter quelquefois. Ce qu’il y a de positif, c’est que le succès, d’abord lent à se décider, est, avec les années, devenu immense, populaire ; la révolution de juillet l’a accéléré et, pour ainsi dire, promulgué. À l’heure qu’il est, 80,000 exemplaires sont en circulation dans le monde. Ces dix volumes d’histoire ont eu tout d’un coup la vogue de certaines compositions romanesques ou de certains pamphlets immortels ; et, en effet, ce n’est point, d’ordinaire, à des œu-