Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce qui les rendait possibles, l’historien, dans sa rapidité, peut être sujet à les si bien lier et enchaîner, qu’à force d’être trouvés naturels, ils paraissent ensuite un peu trop nécessaires. L’histoire de M. Thiers produit trop ce genre d’illusion. Ici comme bien souvent ailleurs, quand on le lit comme lorsqu’on l’entend, on marche avec lui sans se heurter aux objections ; c’est son art et son prestige. Lui-même, on se demande s’il les a vues, tant il est habile et prompt à les éluder, tant l’on va sur ses pas à la persuasion d’un train facile. Quant au reproche d’avoir formulé, comme on dit, la marche de la révolution à l’état de loi fatale, il s’adresserait plutôt à M. Mignet qui, le premier, a dégagé expressément les conclusions ; mais je me hâte d’ajouter que ce genre de reproche s’adresserait aussi bien à tout historien ou philosophe de l’ordre providentiel, à de Maistre, par exemple, et qu’il pourrait remonter tant soit peu jusqu’à Bossuet. « Ceci a été, donc ceci a dû être, et il a fallu nécessairement tout ce mal pour enfanter ce bien, » ce ne sont pas seulement des fatalistes qui tiennent ce langage, et M. Mignet, par le haut développement grave et moral qui lui concilie tous les respects, a montré assez qu’il ne l’est pas.

L’histoire seule de M. Thiers ne nous paraîtrait pas devoir soulever toutes ces questions, qui, ainsi posées, jurent plutôt avec la forme de cet entraînant récit. Ce qu’on a droit de trouver, c’est que ce récit est souvent plus simple, plus lucide que les choses elles-mêmes ; qu’il n’y est pas assez tenu compte des obstacles, des misères, des crimes, et qu’aussi, à force de se bien expliquer les situations successives et d’y entrer, les hommes, certains hommes aveugles et coupables, n’y sont pas assez marqués du signe qui leur appartient. La vivacité du sens historique s’y substitue presque partout à la sévérité morale des jugemens ; sur ce point, il n’y a pas de système, il y a de l’oubli.

Ce n’est pas que les victimes, toutes les fois qu’elles passent, n’obtiennent de l’historien, quand elles en sont dignes, des accens de pitié et d’éloquence. Rien de plus pathétique chez lui que la mort des girondins, que celle de Marie-Antoinette. On peut trouver seulement que cette pitié pour les innocens n’est pas égalée par son indignation contre les bourreaux, et il semble qu’on puisse appliquer à son attitude ce vers du poète

Mens immota manet, lacrymae volvuntur inanes.


N’oublions pas toutefois que, dans les simples et admirables pages où il raconte, après le 9 thermidor, la condamnation et la mort stoïque de Romme, Goujon, il s’écrie avec ame : « On profita de cette occasion