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un bel effet de lumière, comme tout ce qui est bien, comme tout ce qui nous touchant vivement ne doit, par cela même, durer qu’un instant. »


Certes de telles pages, négligemment jetées et venues comme d’elles-mêmes dans une brochure plutôt politique, attestent mieux que tout ce qu’on pourrait dire un coin de nature d’artiste bien mobile et bien franche (genuine), ouverte à toutes les impressions, et digne, à certains momens, de tout comprendre et de tout sentir. Il y a telle page de Jouffroy où il nous représente aussi le pâtre mélancolique et taciturne au haut de sa montagne ; mais ici, chez M. Thiers, le berger chante. Dans leurs deux tableaux, le politique comme le philosophe, en s’oubliant, s’élevaient chacun à la poésie, à l’art naturel et simple, à la pure source première du beau et du grand.

Ce n’était là pourtant (M. Thiers nous en avertit) qu’un instant rapide et qu’un éclair : hâtons-nous de rentrer avec lui dans la pratique et la réalité. L’année même où parut cette relation de voyage, il prenait la part la plus active à la rédaction d’un recueil qui ne vécut que peu, mais qui était un heureux signal, les Tablettes universelles. Si bien posé qu’il se trouvât au Constitutionnel, en effet, ce cadre déjà formé ne suffisait point à l’activité de M. Thiers ; il sentait qu’il y avait à s’émanciper, à coloniser ailleurs. Les Tablettes furent la première tentative d’union entre les jeunes générations venues de bords différens, celle des proscrits de l’Université (Jouffroy, Dubois, etc.), les jeunes doctrinaires, fleur des salons sérieux (M. de Rémusat en tête), et les deux méridionaux directement voués à la révolution, MM. Mignet et Thiers. M. Thiers se chargea aux Tablettes du bulletin politique (signé ***), qu’on attribua d’abord à la fine plume de M. Étienne, et durant cette année décisive de la guerre d’Espagne et de la lutte sourde du cabinet entre M. de Chateaubriand et M. de Villèle, il ne cessa de se montrer un chroniqueur attentif et pénétrant, décochant à chaque bulletin son épigramme, que modéraient déjà l’intelligence des hommes et l’entente du jeu. Comme diversion à cette vive escarmouche politique (M. Thiers abondera de tout temps en ces sortes de diversions), je noterai un article de lui sur l’architecture gothique[1], à propos de la description de la cathédrale de Cologne, par Boisserée. L’idée de M. Boisserée qui déduit l’architecture ogivale de l’espèce d’aspiration qu’exercèrent les hautes tours destinées aux cloches sur le reste de l’édifice, cette vue ingénieuse, mais qui n’est qu’un des élémens de la vérité, se trouve exposée plutôt

  1. N° du 17 janvier 1824.