Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore avec plaisir, avec utilité. Si le coup-d’œil historique sur les révolutions de la peinture laisse infiniment à désirer et peut compter à peine en ce qui concerne l’Italie, que M. Thiers n’avait pas visitée encore, les considérations générales sur le goût, sur la critique des arts et sur les divers mérites propres à ceux du dessin, restent des pages très agréables et très justes, des gages d’un instinct très sûr et d’une inclination naturellement éclairée. L’examen de la Corinne au cap Misène, de Gérard, amène un portrait de Mme de Staël et une appréciation qu’on a droit de trouver rigoureuse, mais qui n’est pas moins pleine de sens et bien conforme à ce que M. Thiers devait sentir en effet. Il n’y a même de tout-à-fait injuste dans ce jugement que l’avantage décidé que le critique accorde au peintre sur le romancier. Ce même Salon de 1822 renferme de généreux conseils à Horace Vernet[1] et une page commémorative pour le jeune Drouais ; Drouais, ce premier élève de David, « qui mourut, dit M. Thiers, dévoré de ses feux et ravi avant l’âge, comme Gilbert, André Chénier, Hoche, Barnave, Vergniaud et Bichat. »

M. Thiers, à son aurore, avait surtout et il n’a jamais perdu le culte de ces beaux noms, de ces jeunes gloires, de ces victimes à jamais couronnées : historien, il leur dressera un autel, et, dans des pages dont on se souvient, il s’inspirera éloquemment de leur mémoire. On lui a, plus d’une fois, reproché de n’avoir pas de principe théorique général, de ne pas croire assez au droit pris d’une manière abstraite ou philosophique, d’accorder beaucoup au fait. Je ne discute pas ce point, quoiqu’en ce qui concerne l’art on le trouve bien décidément croyant au vrai et au beau. Mais il avait, il a, ce que j’aime à nommer le sentiment consulaire, c’est-à-dire, un sentiment assez conforme à cette belle époque, généreux, enthousiaste, rapide, qui conçoit les grandes choses aussi par le cœur et qui fait entrer l’idée de postérité dans les entreprises ; ce qui le porte à s’enflammer tout d’abord pour certains mots immortels, à s’éprendre pour certaines conjonctures mémorables et à souhaiter, par quelque côté, de les ressaisir ; ce qui lui faisait dire, par exemple, à M. de Rémusat, vers ce temps des nobles luttes commençantes : « Nous sommes la jeune garde[2]. »

  1. « Il est jeune, favorisé de la fortune et de la gloire, entouré d’amis qui l’admirent, d’un public qui l’applaudit avec une complaisance toute particulière ; mais la vie ne saurait être si facile ; il faut un tourment à M. Horace Vernet : que ce soit l’idée de la perfection… » Tout ce chapitre VIII est d’une critique chaude, cordiale et franche : c’est du Diderot simple.
  2. Voir, dans l’article de M. de Rémusat sur M. Jouffroy, les belles pages sur les jeunes générations en marche vers 1823. (Revue des Deux Mondes, 1er août 1844, pages 435-438.)