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il distinguait la force de la faiblesse, et, entre Sénécion, vil courtisan sous Néron, et Catilina, monstrueux ennemi de sa patrie, il préférait pourtant le dernier, parce qu’il avait agi… »


Et encore :


« Le monde, suivant Vauvenargues, est ce qu’il doit être, c’est-à-dire fertile en obstacles ; car, pour que l’action ait lieu, il faut des difficultés à vaincre, et le mal est ainsi expliqué. La vie enfin est une action, et, quel qu’en soit le prix, l’exercice de notre énergie suffit pour nous satisfaire, parce qu’il est l’accomplissement des lois de notre être. Telle est en substance la doctrine de Vauvenargues. On le nomme un génie aimable, un philosophe consolant ; il n’y a qu’un mot à dire : il avait compris l’univers, et l’univers bien compris n’est point désespérant, mais offre au contraire de sublimes perspectives. »

Je n’ai pas craint de citer, parce que tout l’instinct de l’homme se révèle déjà dans ces premiers écrits, et que, si l’on a sans doute un peu au-delà de Vauvenargues dans ce besoin d’action si caractérisé, on a déjà beaucoup de M. Thiers. C’est bien le même qui, dix ans plus tard, dans un admirable article sur les Mémoires de Gouvion Saint-Cyr[1], après avoir montré, à la louange des grands capitaines, que penser fortement, clairement, non pas au fond de son cabinet, mais au milieu des boulets, est, à coup sûr, l’exercice le plus complet des facultés humaines, c’est lui qui ajoutera en des termes tout-à-fait semblables : « Ceux qui ont rêvé la paix perpétuelle ne connaissaient ni l’homme ni sa destinée ici bas. L’univers est une vaste action, « l’homme est né pour agir. Qu’il soit ou ne soit pas destiné au bonheur, il est certain du moins que jamais la vie ne lui est plus supportable que lorsqu’il agit fortement ; alors il s’oublie, il est entraîné, et cesse de se servir de son esprit pour douter, blasphémer, e se corrompre et mal faire. »

M. Thiers n’a jamais manqué, à l’occasion, de se prononcer contre cette disposition d’esprit si commune de nos jours, qui consiste à se replier sur soi, à s’analyser, à raconter ses propres émotions au lieu de chercher à s’en procurer de nouvelles ou d’en produire chez d’autres ; il appelle cela le genre impressif et le croit contraire à la destinée naturelle de l’homme, laquelle est plutôt dans le sens actif. Il abonde, lui, dans ce dernier sens.

Vers le même temps où se mettait en marche ce jeune esprit, assurément le moins rêveur, un autre grand talent se déclarait aussi, qui

  1. Revue française, novembre 1829.