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litique du cabinet, jetée comme une ombre sur ce brillant tableau, n’eût comprimé l’élan des chambres !

Nous avions pensé que le ministère serait modeste dans le discours du trône. Nous avions cru qu’il ne poserait pas témérairement les questions. Nous nous sommes trompés. Le ministère se pare de sa politique comme d’un trophée ; il en est fier. Loin de chercher à ménager les susceptibilités nationales, il semble vouloir les irriter. Il brave l’opinion ; il entre en lutte ouverte avec elle. Ainsi, pendant que l’armée accuse le traité de Tanger, pendant que le pays déplore la précipitation avec laquelle ce traité a été conclu, que fait le ministère ? Il s’applaudit de cette précipitation même, si fatale aux intérêts de la France. Il se vante d’avoir rendu la paix aussi prompte que la victoire. S’agit-il du dénouement de l’affaire Pritchard ? le ministère se loue du bon vouloir et de l’équité de l’Angleterre ! En effet, le gouvernement anglais a exigé qu’un officier français fût blâmé pour avoir fait son devoir ; il a exigé de plus qu’un missionnaire anglais, un factieux, fût indemnisé pour avoir fait verser le sang français : quoi de plus juste ! Cela ne prouve-t-il pas l’équité de l’Angleterre, et ses bonnes dispositions à l’égard de la France ? Le cabinet anglais accueillera sans doute avec joie ces étranges paroles que notre ministère a placées dans la bouche du roi ; mais il était difficile qu’elles fussent bien reçues dans des chambres françaises. Aussi, nous ne sommes pas surpris de tous les mécontentemens qu’elles ont soulevés.

Si le ministère s’est montré explicite sur les questions de Taïti et du Maroc, il a été très laconique sur tout le reste. Il n’a rien dit du droit de visite, rien de l’Orient, rien de la Grèce, rien de l’Espagne. Il n’a parlé d’aucun des intérêts de la France engagés dans le Nouveau-Monde. Cependant ces divers points de la politique générale avaient été abordés dans les discours des années antérieures. Le ministère a-t-il voulu cette fois rétrécir le débat de l’adresse ? Ce serait de sa part une tentative impuissante.

Chose remarquable ! le discours du trône ne parle plus de l’entente cordiale, mais seulement d’un heureux accord entre les deux pays. On parle aussi de l’amitié réciproque qui lie les deux couronnes. Pour être exact, on aurait dû parler en outre de l’intimité qui existe entre les deux cabinets, intimité étroite, qui est depuis quatre ans le nœud de la situation ; union précieuse, si elle avait eu pour but l’alliance des deux peuples, au lieu d’être une association stérile entre les intérêts égoïstes de leurs gouvernemens.

Le discours du trône s’étend sur la prospérité du pays. Il nous montre l’activité nationale, l’élévation du crédit, le rétablissement de l’équilibre entre les recettes et les dépenses publiques. Tels sont, nous dit-on, les fruits de la paix. De pareils argumens serviront peu le ministère dans les débats de l’adresse. Qui ne sait que l’équilibre entre les recettes et les dépenses sera détruit par les crédits supplémentaires ? Quant à la prospérité industrielle et commerciale de la France, comment le ministère pourrait-il s’en attribuer l’honneur ? Quelle direction sérieuse a-t-il exercée depuis quatre ans sur les