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les colonies du purgatoire ; la terre des indulgences est devenue stérile ; les harpies sont descendues dans le sanctuaire et le saccagent, Oh ! vengeance de Dieu ! Le Cosaque convoite la robe d’Aaron. Toi qui es destiné à entretenir l’arbre saint du Christ, reprends donc la riche pauvreté de l’Évangile. Que d’autres déchirent notre corps ; que ton double joug cesse d’enchaîner notre ame ; vois comme la foi se meurt ; vois comme le désespoir nous tourmente, comme le monde s’égare à la recherche d’une foi nouvelle. Rappelle les malheureux qui doutent, et arrache le masque d’abord à toi-même, puis aux tyrans. Que si tu vends l’anathème aux puissans, une autre voix criera aux peuples : Non, cette couronne n’est pas fondue avec les clous sacrés, comme l’avait imaginé un délire populaire ; Christ n’a pas légué les armes de son martyre pour ourdir des fraudes ; cette couronne n’est pas forgée avec le soc qui labourait la terre de l’ancienne Rome, c’est une épée de larrons du Nord tordue en couronne. » L’anonyme bafoue les vices de l’Italie officielle avec un vigoureux entrain qu’on ne retrouve aujourd’hui chez aucun poète italien ; personne ne se montre plus profondément convaincu que c’est l’imposture qui gouverne, mais il espère dans la vitalité secrète de l’Italie. M. de Lamartine écrivait que l’Italie est la terre des morts. Le poète se sent vivre, et il riposte avec une hautaine ironie : « Nous sommes donc les spectres de l’Italie ! Momies depuis le sein maternel, notre nourrice est le fossoyeur ; c’est perdre l’eau que nous baptiser ; nous volons l’église quand elle célèbre nos funérailles. Nous ressemblons aux fils d’Adam, on nous prend pour des hommes, et nous ne sommes que des squelettes ! O ames abusées, que faites-vous ici ? Résignez-vous, rentrez dans le royaume des morts. L’histoire ne vous compte pas ; que vous importent, ô fantômes, la liberté et la gloire ! Pourquoi réciter des discours ? Psalmodions un requiem, car l’Italie est sous un drap mortuaire. Nicolini est mort, Manzoni enterré dans les bibliothèques. Comment, ô Lorenzo, peux-tu donner au marbre la vie que tu n’as pas ? Qu’était Romagnosi ? Une ombre qui pensait et faisait trembler les vivans… ô moines surveillans ! ô sbires inquisiteurs ! laissez là vos ciseaux ignorans ; les morts pensent-ils ? Pourquoi nous mutiler même dans le cercueil ? À quoi bon cette forêt de baïonnettes qui nous entour ? Gardez-vous les morts avec tant de jalousie ? Pourquoi vous attachez-vous à nos os ? Est-ce pour faire des études anatomiques ? Mais le théâtre de la nature a ses entrées et ses sorties ; à nous le tombeau, à nous la vie, car nous étions grands quand vous n’étiez pas encore nés ! Nos murailles, nos ruines mêmes, sont un catafalque ; le soleil brille sur