Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes les idées étrangères, depuis la constitution espagnole de 1812 jusqu’à l’esthétique allemande et aux tendances industrielles de l’Angleterre. Un jour l’attaque fut poussée plus loin ; on mit en présence d’un côté la révolution, de l’autre la sainte-alliance ; ce fut là le dernier jour du Conciliatore. Le lendemain, il cessait de paraître, frappé de cette mort soudaine qu’il s’était prédite à lui-même (1819). Un grand nombre de ses rédacteurs se jetèrent dans le carbonarisme ; au bout de deux ans, tous étaient dispersés.

On ne peut rappeler sans tristesse les suites qu’eut pour la plupart des écrivains libéraux la suppression du Conciliatore. Pecchio, l’économiste du journal, mourut à Londres, où il s’était réfugié. Un critique qui voulait détrôner les dieux d’Homère, persuadé que l’art doit s’allier aux croyances, H. Visconti, se fit dévot par romantisme et perdait tout son talent. On remarque dans le Conciliatore des pages capricieuses sur le monde de la lune, sur la vie d’un ours, etc. Le style en est facile et enjoué ; on y sent l’homme du monde ; il est impossible d’y découvrir une préoccupation politique. Ces pages ont été écrites par le comte Confalonieri, l’un des moteurs de la révolution de 1814, le chef des fédérés lombards de 1821. L’auteur de ces essais humoristiques devait passer quinze ans au Spielberg pour avoir tenté une seconde fois de délivrer l’Italie de la domination étrangère. Le docteur Rasori, l’un des premiers partisans de Bonaparte en Italie, l’un des premiers à conspirer contre l’Autriche en 1815, se retirait pour toujours de la politique après avoir échappé par miracle aux réactions de 1821. Le jurisconsulte Romagnosi s’éloignait à son tour sans pouvoir échapper cependant au procès de 1821. Son disciple Borsieri usait trois chaînes au Spielberg. Le même sort était réservé à Silvio Pellico, rédacteur en chef du journal. Quelque peu voltairien, peut-être matérialiste, économiste au besoin, Silvio ne prévoyait alors ni sa destinée ni sa conversion. Engagé dans le parti du mouvement, il se battait comme tout le monde ; disciple de Gioja, ami de Foscolo, il voulait que la société eût des besoins, du luxe, des illusions. Tout à coup il fut enlevé au monde, et sa vie extérieure fut en quelque sorte interrompue pour dix ans. Il se résigna et accepta la religion de ses bourreaux : le livre des Prisons retrace l’un des plus terribles épisodes de cette tragédie de l’innocence persécutée telle que la conçoit le christianisme. Quelques geôliers, des personnages muets, des compagnons d’infortune, le silence de la prison, au-dessus de tout un empereur invisible, seul acteur du drame, au-dessus de l’empereur, Dieu, et nul espoir dans ce monde : voilà le poème