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Aussi le royaume, perdant les sympathies de la bourgeoisie, l’appui des fonctionnaires, le secours de la France, disparaissait-il bientôt presque sans secousse devant une émeute de misérables armés de parapluies.

Foscolo, le poète du parti révolutionnaire italien pendant l’empire, fut le premier à sentir que la catastrophe du royaume d’Italie ne pouvait se réparer, et on peut affirmer sans exagération qu’il mourut de sa douleur. La politique de Foscolo s’explique par sa poésie. Il y avait en lui deux hommes, le matérialiste et l’enthousiaste, le sceptique et le croyant : il niait Dieu, il désespérait de l’humanité ; mais la foi qui manquait à son intelligence se retrouvait tout entière dans son inspiration ; Foscolo cherchait Dieu dans la nature et y trouvait une harmonie sublime qu’il divinisait dans son exaltation de poète. Pour lui, la vie n’a aucun but, et pourtant la beauté lui semble digne d’adoration ; l’amour, la gloire, rien ne résiste au creuset de son analyse, mais il s’attache à ces illusions au nom du bonheur. Puis, quand le bonheur même s’évanouit, Foscolo se croit le droit de mourir, et il sent une force divine dans cette puissance donnée à l’homme de s’anéantir volontairement. De là sa poésie à la fois sombre et gracieuse, de là ses extases d’artiste ; il rêve le ciel dans l’amour, l’immortalité dans la force mystérieuse des grands souvenirs, la religion dans l’ascendant des grands hommes sur les générations qui passent. Pour lui, le tombeau est comme l’autel d’un dieu inconnu ; là il trouve l’inspiration, les souvenirs, la tradition ; la patrie est là, enracinée au sol, fille de la terre, soumise aux maîtres de la glèbe, aux patriciens, fondée sur la charrue, l’autel et l’échafaud. Celui qui ne possède rien doit obéir, ce n’est pas un citoyen ; hors de la patrie, il n’y a que des étrangers, c’est-à-dire des ennemis. Vous est-il impossible d’accepter les destinées de cette patrie toute matérielle livrée au hasard des guerres et des conquêtes ? vous pouvez vous élever au-dessus de la fatalité par le droit de l’exil et de la mort. Foscolo retrouve encore dans cette sorte d’anéantissement politique la trace d’une force divine. Se dérobant à la fatalité de l’histoire, supérieur à la patrie, aux mœurs, aux usages, ne voyant dans l’humanité qu’un jouet du hasard, dans la vie des nations que des épisodes sans suite, Foscolo s’élève ainsi au niveau des grands hommes de tous les pays, et nul mieux que lui ne sait parler le langage de Tacite, de Caton, comme s’il était leur contemporain.

La politique de Foscolo était l’expression originale, élégante, et forte souvent jusqu’à la violence, de ce patriotisme antique. Dès 1795, Foscolo