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VOYAGE AU PAYS DU FREYSCHÜTZ.

et chacun est convenu de trouver cela joli ; à son tour, l’art devait céder au torrent ; où la mode et les mœurs s’acheminent, l’art ne peut manquer d’arriver bientôt, et s’il s’attarde en route, c’est à la manière d’Atalante : pour ramasser les pommes d’or. Dans cette rage du moment, la peinture se fit maniérée et l’architecture baroque. Or, de ce style faux, mais charmant, de cette folle architecture sans proportion, sans harmonie, sans grandeur, mais non sans élégance, où la dignité cède si volontiers le pas à la fantaisie et dont la ligne va se perdant en toute sorte de contours incroyables d’enroulemens tortueux et ventrus, la capitale en Allemagne, c’est Dresde, Dresde la ville du rococo par excellence, et qui aurait fini par inventer la Chine, si la Chine n’existait pas.

La huitième salle de la Galerie verte, presque entièrement consacrée aux travaux de Dinglinger, renferme, au nombre de ses curiosités, la cour du Grand-Mogol Aureng-Zeib. Dinglinger, aidé de sa famille et de quatorze ouvriers, travailla huit ans à ce chef-d’œuvre, pour lequel il reçut environ soixante mille thalers. Sur une table d’argent de trois pieds de hauteur, Aureng-Zeib est assis dans sa pompe orientale, environné des grands de l’empire, de vassaux, de princes et d’ambassadeurs étrangers. L’ouvrage dont je parle est le plus parfait qui soit sorti des mains de Dinglinger, et le plus curieux tant à cause de la merveilleuse exécution des figurines que pour la fantastique reproduction de certains sujets intéressans de la mythologie égyptienne. En cette même salle se tiennent les diamans de la maison régnante de Saxe, conservés là depuis le temps de l’électeur Maurice.

J’allais oublier de parler du théâtre, construction récemment achevée, et qui, pour le luxe, l’élégance et le comfort, ne le cède en rien à nos plus jolies salles. L’éclairage au gaz, chose fort rare en Allemagne, répand dans les corridors et les loges, drapées de rouge, cet air de fête qu’on respire si volontiers l’hiver aux Italiens, et le plafond, tout illustré d’allégories qui descendent le long des loges pour remonter ensuite sur le rideau en toute sorte de capricieuses arabesques, le plafond emprunte aux feux d’un lustre éblouissant un éclat véritablement féerique, et dont la composition assez bourgeoise du répertoire ordinaire dément trop souvent l’effet grandiose. C’est pour l’inauguration solennelle de ce théâtre que Meyerbeer dut long-temps écrire un opéra où certains morceaux inédits de Weber auraient trouvé leur place. Le roi de Saxe s’intéressait vivement à ce projet, et pressa même à plus d’une reprise l’illustre retardataire, car il en fut de cette partition comme de tant d’autres un moment entrevues par