le couvrit de larmes et de baisers. — Tu es fidèle, dit-elle ; je t’emmènerai avec moi. Le lendemain, au moment de partir, Frédéric lui dit :
— Viens, faisons ensemble nos adieux à tout ce qui nous a vus si heureux.
Elle le suivit, et tour à tour ils visitèrent le jardin, la maison : dernier pèlerinage d’amour.
— Allons, dit Frédéric, un dernier regard, et partons ; mais avant, viens, que je t’embrasse encore ici, ma douce Henriette.
Elle s’approcha de lui timidement.
— Tu pleures ? dit-il. Va, nous emportons le bonheur avec nous !
Cependant il était lui-même attendri. Tous deux suivirent du regard ce toit regretté jusqu’à ce qu’il eût tout-à-fait disparu à l’horizon. Ils restèrent quelque temps silencieux ensuite.
— Pourquoi nous attrister ? dit enfin Frédéric ; nous reviendrons un jour à notre chaumière chérie.
Henriette ne répondit pas ; mais le soir elle lui dit :
— Crois-tu qu’il soit permis aux ames de revenir dans les lieux qu’elles ont aimés sur la terre ?
— Quelle triste pensée ! s’écria Frédéric.
— Oh ! non, répondit-elle, c’est une douce croyance !
Rien n’est pénible comme de revoir les mêmes lieux avec des sentimens différens. L’immobilité de la nature, comparée à l’incertitude de notre existence, en constate la fragilité et donne un élan de plus aux aiguillons de la douleur. L’automne n’était pas encore assez avancé pour avoir altéré la beauté de la Suisse. Ce pays qu’elle avait vu à travers le prisme de la félicité et le charme de l’espoir, Henriette le parcourut de nouveau, portant partout en son cœur ce pauvre bonheur mort pour ne plus renaître. Tandis que Frédéric comptait les souvenirs, elle comptait les regrets, et il lui fallait cacher le mal qui la tuait. Son extérieur était à peu près tel qu’autrefois ; seulement une pâleur habituelle avait remplacé l’éclat de ses joues, et la moindre émotion la faisait rougir comme rougissent les malades que de longues souffrances ont privés de leurs forces. Le matin aussi, un léger tressaillement agitait ses mains. Elle suivait avec une espérance cruelle ces symptômes funestes, tout en s’occupant de les dérober à Frédé-