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HENRIETTE.

mourante, fit une ardente prière et prit une ferme résolution. Le sacrifice était décidé. Elle ne pleura plus : puisant du courage dans la force même de sa douleur, elle rajusta ses cheveux épars, essuya la trace de ses larmes, et trouva encore un sourire pour accueillir Frédéric quand il revint. Elle lui remit la lettre de sa tante, qui était à son adresse ; à mesure qu’il lisait, sa figure s’épanouissait.

— Tiens, mon Henriette, dit-il, pour la première fois je t’ai trompée. Impatient d’unir ma vie à la tienne, je n’ai pu garder plus longtemps le silence. Cette bonne tante, dont souvent je t’ai parlé, je lui ai écrit ; je lui ai tout confié, à elle seule, car d’elle seule je suis sûr, et voici sa réponse. Je vois qu’elle était attendrie en l’écrivant ; quelques mots même sont effacés, comme si des larmes y étaient tombées. Sans rien me promettre pourtant, elle ne m’ôte aucun espoir ; elle m’appelle auprès d’elle, elle veut me voir, causer avec moi, m’interroger. La vie est bien longue, dit-elle ; il est si grave d’associer deux sorts l’un à l’autre…

— Oh ! les nôtres sont fixés, dit Henriette en s’efforçant de sourire ; puis, comme elle sentit que les larmes lui coupaient la voix, elle s’arrêta et voulut s’éloigner. À peine eut-elle fait quelques pas, qu’elle tomba sans connaissance. Frédéric avait remarqué l’altération de sa parole ; il s’élança vers elle, et l’emporta dans ses bras.

— Qu’as-tu, chère Henriette ? lui dit-il quand elle reprit ses sens.

— La joie, la surprise…, répondit-elle d’une voix mal assurée.

— Mais tu es pâle comme je ne t’ai jamais vue ! Tu es malade ?

— Le crois-tu ? dit-elle vivement et avec une singulière expression de désir.

Frédéric la veilla toute la nuit ; elle était en proie à une fièvre violente, mais elle ne voulut point qu’on fît appeler un médecin. Elle prononçait des mots entrecoupés ; Frédéric ne put saisir que son nom, qui revenait à chaque instant sur ses lèvres. Vers le matin, elle se calma et s’endormit. Quand elle se réveilla, il s’agenouilla devant son lit :

— Henriette, mon Henriette, lui disait-il, te perdre, ce serait mourir !

— Tu ne mourras pas, dit-elle, car je vivrai.

Elle le pressa contre son cœur avec tendresse, en levant vers le ciel un angélique regard.

À partir de ce moment, rien de ce qu’elle éprouvait ne parut au dehors. Frédéric la vit heureuse en apparence et douce comme par le passé. Le secret de sa douleur se passa entre elle et Dieu. Elle pre-