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Au dehors, il est une question qui ne cessera jamais de causer des inquiétudes au cabinet. Le bruit s’est répandu que les dernières nouvelles de Taïti sont alarmantes. Les récits publiés dans les journaux sont déjà loin d’être rassurans. Les naturels sont toujours en armes. La reine Pomaré paraît vouloir se soustraire au protectorat de la France. L’espoir chimérique d’une intervention anglaise entretient sa résistance et ses ressentimens. Nos officiers, investis d’une autorité illusoire, gémissent du rôle peu digne qui leur est confié. Qu’arrivera-t-il si, comme on l’annonce, la société centrale de Londres, autorisée par le gouvernement anglais, s’apprête à envoyer près de Pomaré un grand nombre de missionnaires méthodistes ? Quelle sera la force capable de prévenir de nouveaux conflits ? et, si les luttes recommencent, quelle sera la situation des autorités françaises ? Quels seront les devoirs de notre gouvernement ? Il faut croire que le ministère, instruit par des renseignemens confidentiels, redoute de nouvelles difficultés, car il envoie des renforts dans l’Océanie. On parle de deux frégates et de huit cents hommes. La mission particulière de M. le capitaine Page, rapprochée de ces faits, autorise de graves conjectures.

M. le duc de Broglie est parti pour Londres. L’honorable pair va régler avec le docteur Lushington la question du droit de visite. On indique les propositions dont il est porteur. Deux moyens seraient, dit-on, présentés pour remplacer le droit de visite réciproque. L’un consisterait à organiser des croisières mixtes en permanence au point de départ et à l’arrivée des bâtimens négriers ; l’autre consisterait à détruire les factoreries d’esclaves, et à déclarer la guerre aux chefs nègres qui seraient convaincus de faire la traite. Ces deux projets soulèvent l’un et l’autre plusieurs objections. En ce qui concerne les croisières mixtes, on objecte que l’inégalité des forces navales de France et d’Angleterre empêchera d’établir l’équilibre entre les stations des deux pays, à moins d’exiger de la France des sacrifices ruineux, ou de restreindre, au détriment de ses intérêts et de sa dignité, le nombre des vaisseaux qui sortent de ses ports pour protéger son pavillon et son commerce. Quant à la destruction des factoreries d’esclaves, on conteste l’efficacité de ce moyen. La destruction des factoreries n’aura d’autre effet que de disséminer la traite sur tous les points de la côte, et de la rendre par-là moins saisissable. La déclaration de guerre aux chefs livrés à la traite présente des inconvéniens d’une autre nature. Le moyen est violent, et il risque souvent d’être injuste ; de plus, il est souvent difficile et dangereux ; souvent aussi son efficacité serait douteuse. Il ne serait pas impossible cependant que l’Angleterre acceptât, de pareils arrangemens, elle y trouverait encore de nombreux avantages ; mais nous attendons qu’on nous démontre par quelles raisons ils conviendraient à la France.