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Aussi, de tous les ministres du 29 octobre, M. Duchatel est celui qui a toujours montré le plus de décision. On voit qu’il se sent libre, et qu’il porte aisément le fardeau du pouvoir. M. Duchatel, en répondant à M. Molé, s’est attaché à démontrer que nous jouissons d’une paix profonde, animée par les progrès des arts, du commerce, de l’industrie et par les grands travaux de la civilisation moderne. Si la France a des chemins de fer, elle les doit au ministère du 29 octobre. Soit. Nous n’insisterons pas aujourd’hui sur ce moyen de défense ; nous ne rappellerons pas les mésaventures de la loi de 1842. Aussi bien, ce n’est pas là le point capital du discours de M. le ministre de l’intérieur : il ne serait pas monté à la tribune pour si peu. En prenant la parole, M. Duchatel n’a eu qu’un but : rassurer le parti ministériel sur l’époque de la dissolution. M. Molé avait montré la dissolution comme suspendue sur la tête du parti conservateur, destiné à être décimé dans les collèges, et à former une minorité où la politique du 29 octobre, vaincue dans le pays comme dans les chambres, viendrait se réfugier et organiser ses vengeances. M. Duchatel a déclaré que le ministère n’avait pas l’intention de dissoudre la chambre cette année. Nous ne mettons pas en doute la bonne foi de M. le ministre de l’intérieur ; cependant sa déclaration ne nous persuade pas. Pour ajourner la dissolution, il faudrait que le ministère pût se dire qu’il aura la majorité l’année prochaine. Or, c’est à peine s’il est sûr de conserver jusqu’au bout de l’année 1845 cette majorité de quelques voix qui lui a déjà fait défaut depuis plusieurs jours, et qui semble maintenant se réserver pour les grandes circonstances. Avec le ministère du 29 octobre, la dissolution aura lieu cette année. La chambre ne pourrait atteindre le terme légal de sa durée qu’avec un ministère nouveau, qui trouverait une forte majorité dans l’union des deux centres.

M. de Salvandy a parlé ; il a cru devoir à ses nouveaux collègues et à lui-même de prendre la défense du ministère contre M. le comte Molé. Nous regrettons qu’il ait fait à ses convictions récentes un sacrifice si pénible. Ce sacrifice, personne ne le lui demandait. M. de Salvandy ne peut être le défenseur de la politique du 29 octobre. Il a souvent blâmé cette politique ; il s’en est séparé plus d’une fois avec éclat : ce n’est pas à lui qu’il appartient de la célébrer, de la soutenir, lorsqu’elle succombe sous le poids de ses fautes. Le pays ne comprendra pas cet excès de générosité. Il y a beaucoup d’autres choses que l’on comprendra difficilement dans le discours de M. de Salvandy. Il y en a qui ont affligé profondément ses amis, et nous sommes du nombre. Cela ne nous empêche pas de rendre hommage au talent de parole qu’il a montré. Il faut d’ailleurs remercier le nouveau ministre de l’instruction publique d’avoir dit trois choses : la première, qu’il était venu apporter dans le cabinet des sentimens de susceptibilité nationale ; la seconde, qu’il était venu y apporter des sentimens de conciliation ; la troisième, que le ministère du 15 avril était un grand ministère. Ces trois choses ont dû être particulièrement agréables à M. Guizot.

Les incidens regrettables qui ont troublé la discussion des fonds secrets au