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Deux politiques, qui prétendent l’une et l’autre à la direction du parti conservateur, sont en présence. L’une est exclusive, absolue ; c’est celle qui voulait dominer au 6 septembre ; l’autre est modérée et conciliante c’est celle du 15 avril. L’une, dans un moment d’oubli, a laissé échapper le mot de haines vigoureuses, qui a trahi des sentimens d’une autre époque ; l’autre prononce le mot de tolérance. Celle-ci veut faire du parti conservateur une secte ombrageuse et immobile, qui ne se recrute nulle part, qui repousse toutes les alliances ; celle-là propose au parti conservateur des alliances honorables, devenues nécessaires. Ici, faute du nombre, on érige la faiblesse numérique en système, on prétend qu’une petite majorité suffit pour gouverner ; là, on pense que le pouvoir a besoin d’une grande majorité, et l’on offre les moyens de la lui donner, sans transaction impolitique, sans concession dangereuse. D’un côté, le pouvoir semble, entre les mains qui le tiennent, un patrimoine dont on est jaloux et que l’on partage à regret, surtout avec les nouveaux venus ; de l’autre côté, on considère le pouvoir comme une grande école d’expérience, où les préjugés s’effacent vite, et où il convient d’appeler de temps en temps, sous la garantie des noms éprouvés, les nouveaux talens, les renommées naissantes, qui se forment dans les rangs modérés de l’opposition : conduite habile, que l’aristocratie anglaise a pratiquée de tout temps, et que doivent tenir tous les gouvernemens sages, qui ne veulent pas mourir par l’isolement. Tel est le terrain sur lequel se rencontrent aujourd’hui M. Guizot et M. Molé. La lutte n’est pas nouvelle entre ces deux hommes d’état. L’opposition de leurs tendances politiques vient de la nature différente de leur esprit, de leur caractère, et même de leur talent. M. Guizot met au service de son ambition une admirable éloquence, qui lui donne un sentiment exagéré de sa force ; son excessive confiance lui cache le danger. Il traite les évènemens comme les hommes, avec dédain. De plus, M. Guizot aime le pouvoir avec passion, et se fait d’étranges illusions sur les motifs qui le poussent à le conquérir ou à le garder. M. Molé sait mieux mesurer la force du pouvoir et calculer ses chances. Quand le combat est nécessaire, il y déploie, comme on l’a vu, de grandes ressources ; mais il aime mieux prévenir les luttes. Il préfère l’intérêt de l’état à l’éclat d’une renommée qui grandit dans les orages. Le spectacle de nos révolutions l’a rendu prudent.

Où commence et où finit le parti conservateur ? M. Guizot et M. Molé diffèrent sur ce premier point. Pour M. Guizot, le parti conservateur, c’est le parti ministériel, c’est le club Lemardelay. Pour M. Molé, c’est la réunion de toutes les forces qui ont fondé le gouvernement de juillet et ont formé ce faisceau que Casimir Périer a tenu d’une main puissante. Ces forces se sont séparées depuis, sous l’influence d’une politique exclusive qui a dominé dans les conseils du pouvoir ou dans les chambres. Elles ont voulu plus d’une fois se rallier ; mais cette politique a empêché les rapprochemens, elle entretient encore aujourd’hui la désunion et la défiance. Pour rapprocher ces élémens