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Et plus loin, dans un style non moins enveloppé de mysticisme, et renchérissant encore sur la première recommandation : « Ne perds aucune de mes lettres, garde-les saintement ; je les destine à me rappeler la meilleure partie de moi-même. Lorsque les spectres me poursuivront et que je serai mort, tresse-m’en une couronne. » Le mot y est. — Je n’ai pas besoin d’insister sur ce qu’il y a de bizarre et de maladif dans ce style. Quiconque sait le moins du monde quel était ce Clément Brentano s’attend à tout. Nature poétique, du reste, il a écrit nombre de merveilleuses fantaisies dans le goût romantique du moyen-âge, et nul mieux que lui n’a su enjoliver d’arabesques variées et de majuscules d’or le burin sec et nu d’une vignette populaire ; mais cette imagination, vers quel abîme de terreurs et de pratiques superstitieuses ne devait-elle pas l’entraîner ? Nouvelliste visionnaire, peintre exalté de je ne sais quel martyrologe fantastique à la manière d’Höllen-Breughel, il lia commerce avec les somnambules et l’entretint. C’était l’humeur la plus extravagante, le véritable frère de Bettina avec plus de portée dans l’esprit, à ses bonnes heures s’entend ; car, dans cette famille des Brentano, les momens lucides se comptent.

Il était d’origine méridionale, et vous eussiez dit qu’une lave lui consumait le sang. Il y avait du moine africain, de l’ascète chez cet homme toujours en chasse de fantômes, et dont l’intelligence portait un cilice. Comme s’il eût craint que les sujets d’épouvante ne vinssent à lui manquer, on le vit, sur la fin, se faire le confident de la sœur Emmerique, cette augustine du cloître d’Agnetenberg, à Dülmen, à la mémoire de laquelle il écrivit tout un volume. Ce fut le comte Léopold Stolberg qui le mit en rapport avec la sainte cataleptique. Brentano passa des années auprès d’elle, notant chaque vision, saisissant chaque mot au passage. Nous avons vu Kerner renouveler le manége à propos de cette somnambule de Prévorst dont il a recueilli l’histoire, nous allions dire la légende. Histoire ou légende, le volume de Clément Brentano est des plus curieux ; je crois même que M. de Montalembert l’a traduit ; dans tous les cas, je le lui recommande. Sainte Élisabeth de Hongrie n’offre pas à l’inspiration de la muse néo-catholique une somme de miracles plus intéressans, une série de dessins plus propres à recevoir les mignonnes enluminures qu’affectionne tant un certain dilettantisme religieux ayant cours. Sœur Emmerique vivait dans la contemplation mystique de la passion de notre Seigneur, si bien qu’elle en était restée marquée des stigmates du crucifiement. Chaque année, aux approches de la sainte semaine, les cinq plaies reparaissaient ; sur ses mains, sur ses pieds une rougeur surnaturelle indiquait l’empreinte des clous sacrés ; un sillon écarlate figurait sur son cœur le coup de lance, et le vendredi, au moment où le voile du temple se déchire, son front cataleptique, devenu moite, laissait perler une rosée de sang. Lorsque Brentano vint à elle, sœur Emmerique le connaissait déjà pour l’avoir vu dans ses rêves. La visionnaire s’exprimait le plus souvent en paroles d’une naïveté enfantine. « Un jour, écrit Clément, je venais de glorifier devant elle