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tout est admirablement mis en relief, les impatiences de la famille Bonaparte, plus empressée que son chef lui-même à rétablir la monarchie ; l’opinion de la France, qui voulait que le pouvoir fût déclaré viager dans la personne du premier consul ; le silence de Napoléon, qui ne dit pas sa pensée ; la méprise du sénat, qui s’imagine qu’une prorogation de dix ans suffit à l’ambition du dictateur ; l’utile dextérité de Cambacérès, qui fait changer la position de la question ; enfin toutes les institutions réformées ou pratiquées suivant le génie de la monarchie. M. Thiers clot son troisième volume en citant cette parole de Tronchet : « Ce jeune homme commence comme César ; j’ai peur qu’il ne finisse comme lui. »

Quand après cette lecture on interroge ses impressions et ses souvenirs, on trouve que l’Histoire du Consulat et de l’Empire est singulièrement propre à instruire les esprits et à les élever, sans leur inspirer une exaltation fâcheuse ou stérile. L’instruction féconde qu’on recueille à travers l’ouvrage nous a rappelé ce qu’un des grands hommes de l’antiquité, Cicéron, demande à une histoire vraiment digne de ce nom : « L’exposition des faits exige l’ordre des temps, la description des lieux ; dans les évènemens importans qui méritent d’être transmis à la postérité, on veut connaître la pensée qui les a préparés, puis l’exécution, enfin le résultat. Aussi l’écrivain doit d’abord énoncer son opinion sur l’entreprise elle-même, faire connaître non-seulement tout ce qui s’est fait et dit, mais de quelle manière, et, quand il arrive aux résultats, en indiquer fidèlement les causes, sans oublier de faire la part du hasard, de la prudence et de la témérité. Il ne se contentera pas de rapporter les actions des personnages célèbres, il peindra leurs mœurs et leur caractère[1]. » En vérité, on dirait qu’en composant son livre, l’historien du consulat et de l’empire a toujours eu devant les yeux ces conseils légués par un des plus grands esprits de l’ancienne Rome. Son livre, en effet, ne convient pas moins à ceux qui savent ou croient savoir beaucoup qu’à ceux qui le liront en ignorant ce dent il traite, car ces derniers y puiseront toute l’instruction nécessaire. Cette instruction, M. Thiers la

  1. « Rerum ratio ordinem temporum desiderat, regionum descriptionem ; vult etiam, quoniam in rebus magnis memoriaque dignis consilia primum, deinde acta, postea eventus exspectantur, et de consiliis significari quid scriptor probet, et in rebus gestis declarari, non solum quid actum aut dictum sit, sed etiam quomodo ; et quum de eventu dicatur, ut cause explicentur omnes, vel casus, vol sapientiae, vel temeritatis : hominumque ipsorum non solum res gestae, sed etiam, qui fama oc nomine excellant, de cujusque vita atque natura. » (De Oratore, lib. II, c. XV.)