« À en juger donc par sa conduite ordinaire et constante, l’homme a besoin d’une croyance religieuse. Dès-lors, que peut-on souhaiter de mieux à une société civilisée qu’une religion nationale fondée sur les vrais sentimens du cœur humain, conforme aux règles d’une morale pure, consacrée par le temps, et qui, sans intolérance et sans persécution, réunisse, sinon l’universalité, au moins la grande majorité des citoyens, au pied d’un autel antique respecté ?
« Une telle croyance, on ne saurait l’inventer quand elle n’existe pas depuis des siècles. Les philosophes même les plus sublimes peuvent créer une philosophie, agiter par leur science le siècle qu’ils honorent : ils font penser, ils ne font pas croire. Un guerrier couvert de gloire peut fonder un empire ; il ne saurait fonder une religion. Que dans les temps anciens, des sages, des héros, s’attribuant des relations avec le ciel, aient pu soumettre l’esprit des peuples et lui imposer une croyance, cela s’est vu ; mais, dans les temps modernes, le créateur d’une religion serait tenu pour un imposteur, et, entouré de terreur comme Robespierre, ou de gloire comme le jeune Bonaparte, il aboutirait uniquement au ridicule.
« On n’avait rien à inventer en 1800. Cette croyance pure, morale, antique, existait : c’était la vieille religion du Christ, ouvrage de Dieu suivant les uns, ouvrage des hommes suivant les autres, mais, suivant tous, œuvre profond d’un réformateur sublime ; réformateur commenté pendant dix-huit siècles par les conciles, vastes assemblées des esprits éminens de chaque époque, discutant, sous le titre d’hérésies, tous les systèmes de philosophie, adoptant sur chacun des grands problèmes de la destinée humaine les opinions les plus plausibles, les plus sociales, les adoptant pour ainsi dire à la majorité du genre humain, produisant enfin ce corps de doctrine invariable qu’on appelle unité catholique, et au pied duquel Bossuet, Leibnitz, après avoir pesé le dire de tous les philosophes, sont venus soumettre leur superbe génie. Elle existait cette religion qui avait rangé sous son empire tous les peuples civilisés, formé leurs mœurs, inspiré leurs chants, fourni le sujet de leurs poésies, de leurs tableaux, de leurs statues, empreint sa trace dans tous les souvenirs nationaux, marqué de son signe leurs drapeaux tour à tour vaincus ou victorieux ! Elle avait disparu un moment dans une grande tempête de l’esprit humain ; mais, la tempête passée, le besoin de croire revenu,