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que nous devons à la bienveillante communication de l’auteur, nous avons pu embrasser tout l’ensemble du tableau que déroule M. Thiers depuis le 18 brumaire jusqu’au consulat à vie. Ce grand sujet est. partagé en quatorze livres dont chacun reçoit son titre du fait principal et dominant au récit duquel il est consacré ; tantôt c’est l’Administration intérieure, le Concordat, tantôt c’est Ulm et Gênes, Héliopolis, la Paix générale. Chaque livre est complet et vaste, mais il y a de la mesure dans l’étendue. Ce n’est pas ici le cas de dire que chaque acte en sa pièce est une pièce entière. Non, chaque partie dépend harmoniquement de l’autre, et toutes concourent à la grandeur de l’ensemble. Le lecteur est conduit, entraîné sans s’en apercevoir ; le spectacle auquel il assiste est grand, varié, infini, jamais confus. Une progression irrésistible qui sort des faits eux-mêmes, et c’est le triomphe de l’art, vous mène, vous pousse, et c’est non-seulement sans fatigue, mais avec un plaisir sérieux, avec une sorte d’enthousiasme intime et sévère, que vous parcourez toute l’étendue de cette carrière immense, à la suite d’un guide qui n’a ni dévié ni fléchi.

La lecture de l'Histoire du Consulat et de l’Empire causera plus d’une surprise à ceux qui avaient supposé que l’auteur puiserait surtout ses inspirations dans une admiration sans réserve et sans critique du génie de Napoléon et de ses actes. A entendre quelques personnes, le livre ne devait être qu’un pamphlet napoléonien. Cette maligne espérance se trouve déçue. Devant la sublime figure de Bonaparte, M. Thiers a gardé toute sa liberté d’esprit ; il n’a pas affublé le premier consul d’une grandeur fantastique : c’est un homme, et non pas un héros idéal que nous avons sous les yeux. La grandeur de Bonaparte ressort d’autant plus vive qu’elle est plus simplement rendue et plus librement jugée. Dans cette première période même, où tout est si jeune, si pur et si glorieux, il y a des degrés, des nuances que M. Thiers a exprimées de la manière la plus heureuse. Avec la gloire de l’homme, les exigences du dictateur s’accroissent. Un an après Marengo, Bonaparte était plus impérieux. En représentant l’impatience que lui causait l’opposition du tribunat, M. Thiers ajoute : « N’ayant pas vécu dans les assemblées, il ignorait cet art de ménager les hommes, que César lui-même, si puissant qu’il fût, ne négligeait pas et qu’il avait appris dans le sénat de Rome. Le premier consul exprimait son déplaisir publiquement, audacieusement, avec le sentiment de sa force et de sa gloire, et n’écoutait guère le sage Cambacérès, qui, fort expérimenté dans le maniement des assemblées, lui conseillait vainement la mesure et les égards. » (T. III, p. 323). Quand