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(écrivit-il avec ce souvenir le Discours sur les Passions de l’amour ?) avait été fort épris d’une belle savante de Clermont, qu’il ne quittait pas d’un instant ; on y voit aussi que sa sœur, Mme Gilberte Périer, était très considérable dans la ville. A d’autres endroits, il s’agit de Mme Talon, la mère de l’avocat-général, qui avait accompagné son fils en Auvergne pour l’aider dans la réforme des établissemens religieux : cette originale figure, si vivement dessinée par Fléchier, eût été digne, avec son humeur de législateur, avec sa façon de donner des ordres souverainement, de figurer à Port-Royal, entre M. de Saint-Cyran tout au moins et M. Singlin. Ailleurs encore, c’est de Chapelain qu’il s’agit : « M. Chapelain, dit notre abbé, dont la vertu, la prudence et l’érudition sont connues partout où il y a des gens de bien. » Les comédiens venus à Clermont s’étaient avisés de jouer la petite parodie de quelques scènes du Cid, connue sous le nom de Chapelain décoiffé, et qui était alors dans sa primeur. Une pareille audace contre l’illustre auteur de la Pucelle indigna MM. des Grands-Jours, et l’ordre fut solennellement donné aux gens de la troupe de s’abstenir désormais de cette méchante pièce, composée, dit Fléchier, par quelques envieux. Or il faut se rappeler que Boileau avait vraisemblablement trempé dans la facétie de Chapelain décoiffé ; cela marque nettement la position de Fléchier dans la littérature de son temps. Sorti de l’hôtel Rambouillet et de la suprême génération de l’école de Louis XIII, il en dut garder certaines opinions et certaines rancunes : pour lui évidemment, comme pour Huet, l’idéal était un peu en arrière, et Boileau, qui avait malmené beaucoup de leurs anciens amis, leur demeura suspect[1]. En plein Louis XIV, je l’ai dit déjà, Fléchier fut le continuateur amélioré, mais direct, de la tradition des Du Vair et des Balzac, des Godeau et des Patru. Il représente dans sa perfection ce genre d’éloquence ornée et harmonieuse.

La publication des Mémoires ne met que mieux dans son jour cette situation particulière à Fléchier dans le développement de la prose française au XVIIe siècle ; elle le rattache même plus directement à cette période finissante de la manière Louis XIII, à laquelle appartiennent les

  1. Au VIIIe chapitre des Réflexions sur les Caractères des hommes, quelque trace de cette prévention s’est glissée. Fléchier avoue bien que Despréaux a poussé le genre satirique au plus haut point qu’il pouvait aller : mais il se hâte d’ajouter : « Pour-moi, j’aimerai toujours mieux nos Virgiles et nos Horaces français que nos Juvénals et nos Perses ; le génie libre et élevé me plaira toujours plus que celui des autres, quoiqu’ils soient pleins de feu, d’agrément et de force. » La tendresse d’ame de Fléchier se trouvait ici d’accord avec ses sympathies de lettré.