Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/1098

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tomba comme la foudre. La noblesse, dans ce coin du royaume, était, pour parler avec Fléchier, un simple titre d’impunité pour les criminels ; ces cruels suzerains des montagnes étaient les véritables sangsues du peuple. Pour eux, il n’y avait ni gouvernement, ni lois, ni juridiction ; on tuait ouvertement les gens de la force armée et on se faisait sans danger justice soi-même. Les procès sans nombre qui furent évoqués aux Grands-Jours imprimèrent une terreur salutaire à toute cette gentilhommerie barbare et ne contribuèrent pas peu à rattacher l’Auvergne à la royauté par des liens désormais plus étroits. Il y a dans le sombre et étrange tableau retracé par l’habile plume de Fléchier une page caractéristique et désormais nécessaire à l’histoire de France sous Louis XIV.

C’est là le côté sérieux des Mémoires : les annales des mœurs proprement dites s’y trouvent aussi éclairées par bien des détails neufs et pittoresques. La physionomie des provinces d’alors est là tout entière, esquissée par ses côtés les plus plaisans : le Voyage de Chapelle et Bachaumont, si précieux à ce point de vue, n’est rien pourtant en comparaison du livre de Fléchier. On a successivement sous les yeux, et peintes de main de maître, toutes les Madelon, toutes les Cathos, toutes les comtesses d’Escarbagnas du pays. C’est une troupe des plus amusantes : l’une danse la bourrée avec fureur, comme l’autre hiver on dansait ici la polka ; l’autre se querelle et se bat à coup de manchon ; une troisième, précieuse languissante, se jette à la tête de Fléchier, sous prétexte qu’il arrive de Paris, le lieu où s’écrivent et où se passent sans doute les romans. Peu séduit par les avances de ce dernier bas-bleu qui se plaignait amèrement de rencontrer « si peu de gens polis et bien tournés dans ce pays barbare, » Fléchier se contenta de lui prêter une traduction de l’Art d’Aimer d’Ovide, ajoutant, à part lui, que ce n’était pas la même chose que l’art de plaire. Qu’on en soit sûr, ces badinages servent à mieux faire comprendre l’état de cette société mal revenue encore des voluptueuses turbulences de la fronde. Je le répète, on apprend beaucoup dans le frivole volume de Fléchier ; on y apprend même que les grisettes étaient « de jeunes bourgeoises de la ville qui avaient une galanterie un peu hardie, et qui se piquaient de beaucoup de liberté. » Voilà une étymologie auvergnate à laquelle on ne s’attendait pas.

Un dernier genre d’intérêt que les Mémoires sur les Grands-Jours offrent à la curiosité des lettrés, c’est que quelques noms célèbres du xvite siècle s’y rencontrent çà et là sous la plume du spirituel écrivain. Ainsi on voit positivement, dans le livre de Fléchier, que Pascal